Ce qu’il y a d’embêtant avec les films sérieux, c’est qu’ils doivent fréquemment décrire, illustrer, paraphraser nos vies, dont un des principaux caractères est d’être raisonnablement caricaturales et souvent un peu misérables. C’est pourquoi des fois un film volontairement grotesque paraît moins lourdingue qu’un film soucieux et tatillon. Lourdingue n’est d’ailleurs pas le mot juste. C’est plutôt qu’à force de coller à des réalités répétitives, prévisibles, angoissées et tristes, qui sont les réalités de l’énorme majorité de nos existences, eh ben on a des espèces de gommes qui nous enserrent, et où se mêlent en bandes la violence, la glaucité, le manque de présent comme d’avenir, la peur, les politesses sans estime, les poncifs et les normes. Et il n’y a rien à dire ! La réussite consiste à condenser ainsi nos vies, nos vies sans enseignement et sans espoir, en une heure et demie.
C’est nantie de cette appréhension que j’ai traîné tout ce que j’ai pu des camarades du Planning de ma sous-préfecture à la projection, au cinéma local, de Tomboy. J’avoue que je comptais sur leur pragmatisme et surtout leur solide optimisme pour faire face en bloc à un film de la réalisatrice de Naissance des pieuvres, dont je me rappelle comme une œuvre particulièrement désespérante, non pas qu’elle fût mal faite, mais parce que je trouve qu’elle donnait simplement envie de se pendre si on se trouve être une jeune lesbienne bio (je cause même pas des trans pour qui on a fait et refait des pellicules qui rivalisent de sordide et d’épouvantable).
En fait, ce fut beaucoup moins pire que ce que je craignais. Ça m’a un petit peu fait penser à XXY, qui a eu tant de succès il y a quelques années, et ce entre autres parce qu'y était épargné au personnage principal ce qu'on craint, ce à quoi on s'attend ordinairement en de pareils cas, et que la plupart des cinéastes nous servent avec une sadique béatitude ! Ouf. Mais ça montre un peu où on en est dans la vision, que dis-je, le bilan de nous-mêmes et de nos identités, de nos survies : quand on est juste humiliées, apeurées, coincées, défaites ; quand on n’est pas violées, découpées en morceaux, aveuglées, séquestrées, internées, suicidées - c’est la joie et la bonne humeur ! On s’en tire bien !
Ben zut alors… Moi je vous dis, plus ma vie sombre dans la m… moins je me fais à cette glaucité réglementaire. J’ai envie de films heureux, drôles surtout, où ne pas se prendre au sérieux n’entraîne pas de désastres, et qui se terminent sur une note d’espoir. Ou dans un endroit chouette, comme Mater natura, ou Better than chocolate.
Alors voilà, finalement je sais pas si j’ai aimé ou pas aimé. J’ai été soulagée, que ça soit pas pire. Ça m’a aussi fait bouger des choses assez profond, qui concernent mon histoire, et aussi celles de personnes qui m’ont été ou me sont proches. C’est sûr, et c’est le mérite de ce film plein d’allusions : il parle. Il nous parle, parce que nos vies, au milieu du capharnaüm, au milieu surtout de l’obsession d’un monde genré à mort, eh bien ont beaucoup de passages semblables. Détordre un monde aussi tordu, ça donne pas des formes simples. C’est un peu l’enseignement qu’on en tirait, en discutant après sur la place du marché nocturne.
Frappée aussi (je ne vois pas si souvent de films) par le cadre, le même que celui de Naissance, ces espèces de conglomérats urbains classe moyenne appauvrie. C’est sûr que c’est représentatif de l’époque. Mais moi ça me fait flipper. C’est presque le cadre que j’imaginerais à un film d’horreur (je refuse obstinément, depuis toujours, de voir des films d’horreur). Ces couloirs, ces portes blindées, ces visages défaits de nanas enfamillées, ces faux bois et ces piscines… Pour moi, il y a là une sacrée intensité d’angoisse rien que dans l’environnement. Et là encore, ça ne renvoie pas à une utopie négative ; non, c’est la vie de beaucoup d’entre nous, et même qui peuvent se penser encore relativement favoriséEs.
Au secours, on est mal, et là ce n'est plus seulement une question d’identité de genre !
La merle blanche sans nid.