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In memoriam VS (et beaucoup d'autres)

 

2010

 

 

J’ai eu la curiosité d’aller voir sur internet les pages de Google à propos de Valérie Solanas. J’y ai vite été prise d’un frisson d’horreur, à lire d’abord les imbécilités militantes et sirupeuses ; ensuite les immondices qui lui sont versés sur la tête, plus de vingt ans après sa mort. Á commencer évidemment par ceux des mecs antiféministes, que j’aimerais volontiers étriper et laisser gigoter dans leurs intestins.

Mais aussi, plus doucereusement, la négation de ce qu’elle a dit par beaucoup de nanas…

 

Valérie Solanas semble avoir été reniée par tout le monde et, chose affreuse, aussi par elle-même. Ce qui est incontestablement le summum de l’expropriation, et montre aux solitaires, aux isolées qui ont ouvert leur gueule jusqu’où le mépris et la haine de celles qui sont ensemble vont pouvoir les traîner et les disperser. Il y a ainsi des personnes, en nombre, qui ne pourront jamais être chez elles, au sens le plus profond du terme, perpétuellement pourchassées par celles (et ceux !!) qui tiennent à être chez les autres ; là aussi à tous les sens du terme…

 

Et ça fiche la gerbe qu’elle soit désormais revendiquée par ce monde de copines, lesquelles abandonnent et assassinent toutes celles qui gênent leur ronron organique. Après avoir bien joué avec. Mais ne négligent pas de récupérer post-mortem le petit piment de provoc qui manque à leur fadasse ragoût. Enfin… de provoc, pas sur n’importe quoi non plus. Il y a ce qu’on veut voir et ce qu’on ne veut pas voir. Ce qui tire ou pas à conséquences, quoi.

 

Elle a été traduite, on en a fait des explications de texte, pour la réduire aux truismes de la militance contemporaine. On en a fait « une femme en colère », par exemple. Parmi d’autres et sans aspérités. C’est bien pratique, l’encombrante fantôme se voit ainsi contrainte par l’efficace nécromancie des mort-vivantes à marcher dans le rang, derrière la banderole. Au milieu de paroles depuis longtemps aussi vides que de vieilles coquilles d’escargot.

 

Ce qui est terrible, c’est à quel point visiblement elle a été et restera inconnue et incomprise. Surtout dans un pareil monde de « désir et de plaisir ». Moi la première ai juste voulu voir pendant assez longtemps dans Scum une simple charge et décharge, géniale mais entièrement compréhensible, classable dans le féminisme radical orthodoxe où je baignais. Il m’a fallu, chose étrange mais sans doute symptomatique, près de vingt ans, et alors même que c’était là ma cible première, pour me rendre compte qu’elle y avait aussi écrit des lignes définitives à propos du sexe et des relations. Et que ces lignes démolissent la révérence que les différentes parts de la société présente ont pour ces valeurs travesties en activités ! Fichent en l’air tout le discours et toute la pratique qui sont portés aux nues à ce sujet.

On ne voit pas les choses énormes qui nous dominent et nous enserrent de partout. Ni les paroles qui parviennent à se porter à leur dimension.

 

Parce que ce qui est donc assez effrayant, c’est que toute la nuée néo-féministe en dit du bien… mais en « oubliant », en masquant tellement des pans essentiels de ce qu’elle disait et probablement vivait – qu’elle en est mutilée post-mortem. Expropriée comme on peut être virée de soi quand autrui parle, vit en votre place, sous votre image, en vous faisant taire, en vous arrachant la langue. J’ai bien connu ça avec des nanas transphiles qui se la roucoulent douce aujourd’hui sur quelques cadavres et pas mal d’exsangues.

 

Valérie Solanas était par exemple, en quelque sorte, en néo-langage, une travailleuse du sexe anti-sexe. La seule fois que j’ai sorti cet assemblage, les interlocutrices en sont restées la mâchoire inférieure pendante, prêtes à baver d’incompréhension inquiète. Les plus cultivées n’imaginaient sans doute ça que chez des anciennes découragées ou des avalées par le Mouvement du Nid. Pensez donc, refuser et déprécier le plus beau cadeau que nous ait fait le ciel : jouir sans entraves, nous identifier sur comment on s’y livre, nous renifler le cul à la chaîne ! Et bâtir la société idéale là-dessus. Blasphème.

 

Valérie Solanas fut une des très rares vraies blasphématrices contemporaines, une des rarissimes qui osèrent s’en prendre à ce qui est réellement vécu comme sacré par à peu près tout le monde aujourd’hui. Ce qui ne pouvait que lui valoir l’excommunication universelle, ou pire le travestissement quand il paraissait intéressant de se l’adjoindre en tant qu’image subversive (ce mot me fait vomir).

La question n’est d’ailleurs pas qu’elle ait été ou non blasphématrice pour la chose elle-même. Blasphémer ou croire blasphémer est un jeu de société pour personnes bien nées depuis plusieurs siècles. Valérie Solanas a blasphémé par nécessité, parce qu’elle avait quelque chose à dire, qui est terrible dans sa présence et dans ses conséquences. Elle n’a pas blasphémé pour s’amuser. Elle n’a pas fait nombre dans les centres lgbt ni les kissinges. Elle l’a payé non seulement de sa vie mais peut-être aussi de son rapport à elle-même, dont on dit qu’il fut anéanti, par la haine et le ridicule qui lui collèrent aux os et adhèrent encore à sa décomposition sans aucun doute…

 

Je ne rédige pas un hommage à Valérie Solanas. Je songe en tremblant à son destin horrible, au destin épouvantable de bien d’autres femmes qui finirent souvent leur vie internées, pendant des dizaines d’années quelquefois, sans aucun espoir. Je songe en tremblant à ce destin qui pourrait assez facilement être le mien, lequel en a en tous cas pris nettement le chemin. Détruites et trahies souvent par les gentes mêmes à qui elles avaient livré leur confiance. Et qui fréquemment, ou leurs héritièrEs, engraissent paisiblement sur ce qu’elles leur ont volé, en le dénaturant qui plus est.

Au fond, même hors de l’HP, Solanas fut internée hors de l’humanité durant à peu près toute sa vie. Nombreuses sont sans doute celles qui errent et croupissent ainsi dans le no woman’s land invisible que leur ont tricoté leurs sœurs, avec la complicité et la bénédiction du reste de la population.

 

Il n’y a aucun hommage à rendre à un destin pareil, ce serait obscène, et donner raison aux saloperies roublardes qui font encore aujourd’hui leur petite monnaie sociale et relationnelle avec ses osselets. Il n’y a hélas aucune vengeance possible à en tirer non plus. Même à coups de ceintures explosives. La défiguration ne se peut jamais rattraper. Il n’y a qu’à espérer que ça et là, dans le silence, des personnes lisent et comprennent un peu.

 

Un peu. Nous ne pourrons jamais comprendre tout à fait ce qu’elle affirmait. Mais nous pouvons quand même en saisir quelques lignes. Un refus fondamental au moment même où la fameuse « révolution du désir », vieille farce qui n’a pas fini de faire baver, s’extirpait du chenil moraliste déjà tombé en ruines, et où la glorieuse schizophrénie succédait sans grand effort à la névrose démonétisée. Elle fut une des très rares à comprendre instantanément que cette « révolution » était en fait l’accélération décisive et l’accès à l’hégémonie de ce qui couvait depuis quelques siècles. Et le chemin d’un asservissement sans précédent à l’intensité, à la concurrence et au devoir d’être.

 

Nous nous annexons les unes les autres. Nous sommes incapables de  nous reconnaître, de nous traiter autrement que comme fonctions et utilités. Moi-même vois bien qu’ici je tends à attraper moi aussi un bout de son squelette. Tout ça est à faire tourner la tête d’épouvante.

J’ai toujours détesté les discours sur la folie, notamment les discours dithyrambiques ou faussement bénins, genre à la Artaud par exemple, ou plus récemment à l’alternote antipsy. La folie est quelque chose d’abominable, le signe et la conséquence mêmes de cette expropriation, de l’impossibilité de rentrer dans soi parce que d’autres s’y sont installéEs. Je fuis moi-même la folie depuis des années, je m’accroche désespérément à tout ce que je peux de moi-même, de tout ce qui n’a pas été détruit par le mensonge, le mépris et la « bienveillance ». Il en reste souvent moins qu’on le croit soi-même.

Je crois profondément que nous devons combattre la folie et ne pas la laisser nous dévorer en la « tolérant », quoiqu’en disent les bien-pensantEs qui ne le sont pas, elles, folles, je vous en réponds. Qui dirigent même très bien leur barque. Et font leur profit de la destruction d’autrui – ne rien laisser perdre.

 

Je ne peux rien dire à une morte. Il y a de longues années, dans un texte dont tous les exemplaires ont disparu, j’avais du conclure la même chose envers une autre victime de l’axe du bien militant, que j’avais connue. Et qui elle aussi en mourut très bien, très seule et abandonnée. Sans laisser la moindre mémoire. Et il y en a eu quelques unes depuis. Quand on me sort le slogan selon lequel le féminisme n’a jamais tué personne, je ricane doucement. Il en a tué bien moins que d’autres. Encore heureux ! Mais il a tué surtout de celles qui firent confiance à sa jactance et qui étaient désarmées. Comme tous les ismes ; ce n’est pas une question d’intentions, elles sont toujours bonnes. Mais dans un monde d’acquis que nous ne voulons pas détricoter, peur de perdre (même si nous sommes très fortes sur la « déconstruction »…), ces bonnes intentions pavent l’enfer, on ne le redira jamais assez.

 

Valérie Solanas ne semble pas avoir beaucoup parlé de la confiance, si ce n’est pour rappeler le terrible abandon affectif des femmes aux hommes – mais aussi les dégâts en général de cet affectif qui finit toujours au cul et à l’angoisse d’exister par lui. Elle a laissé l’éventualité qu’une reconnaissance fût possible, si justement nous arrivions à nous débarrasser, outre des mecs, et peut-être encore plus urgemment, de la sexualité et des relations qui vont avec elle. On a envie précisément là de lui faire confiance, même si on doute. Que si on parvenait à passer par-dessus ce dantesque lacis d’entredévoration, nous pourrions enfin nous regarder sans nous blesser.

Mais ça ne craint pas de se faire entre gentes d’aujourd’hui.

 

Rêvons un peu…

 

La petite murène

 

 

 

 

De l'audace !

 

2013

 

 

 

 

à la mémoire de Cléo ; et de bien des autres

 

 

« Puisque nous parlons des vaches sacrées, finissons-en. Qu’est-ce l’amour sinon la rançon du consentement à l’oppression ? Qu’est-ce que l’amour sinon du besoin ? Qu’est-ce que l’amour sinon de la peur ?

Dans une société juste, aurions-nous besoin d’amour ?

Dans une société libre il ne peut y avoir ni famille, ni mariage, ni sexe, ni amour. »

Ti-Grace Atkinson

 

« Effectivement, pour sortir de ce vivarium de cauchemar,

il nous faudrait du temps et de l’audace, deux choses dont nous manquons cruellement. »

Bibiche à une vieille connaissance

 

 

 

 

Je ne sais pas si ça vous fait la même chose, ce mélange émulsif de honte et d’exaltation, quand vous découvrez, à un âge déjà replet, ce dont vous aviez toujours entendu parler mais dont vous aviez toujours négligé de prendre connaissance. C’est mon cas en découvrant, à quarante sept ans accomplis, l’Odyssée d’une amazone, de Ti Grace Atkinson. La honte, parce que je connais l’existence de ce livre depuis mon adolescence, qui a eu lieu dans les toutes early eighties, où tout simplement on le trouvait, fréquemment, dans toute bonne librairie. Et je fréquentais assidûment les bonnes librairies, celles où il y avait de la critique, du féminisme, etc. Il faut dire qu’à l’époque, les étalages, au reste loin d’être aussi ordonnés que de nos jours, n’étaient pas encore obstrués par la soupe citoyenne. Et que ces bonnes librairies n’étaient pas encore les églises bis actuelles où se prêche la bonne parole, mais où on confrontait les approches et où se fritait de manière pas forcément prévisible, enrôlée. C’étaient des foutoirs sans nom. Á présent c’est bien dégagé sur les oneilles.

 

Combien de fois ai-je alors du prendre ce bouquin, le feuilleter vaguement, le reposer ?

 

Aujourd’hui, en le recevant par la poste, je me suis avisée avec stupéfaction que l’exemplaire envoyé est toujours issu du premier tirage en français, celui Des Femmes, de 75. Près de quarante ans n’ont pas suffit à épuiser ce tirage que je devine unique. Près de quarante ans, il est vrai, n’ont pas non plus, et de loin, réussi à épuiser les questions qu’elle pose. On a même plutôt remblayé par-dessus pour les oublier !

 

Combien avons-nous donc été, autour de 80, 82, à feuilleter ce bouquin et à le reposer, puisqu’à cette heure l’édition en est toujours disponible ?

Il est vrai, ironie plus douce, que je fis en ces années pareil vis-à-vis d’un autre livre, considéré comme l’œuvre maîtresse d’une nana qui devint par la suite et est restée une de mes rares et grandes amies. Comme quoi…

 

Ah j’ai même pas pu le lire d’un trait. Trop bien c’était. Imaginez un peu comme un gros gâteau plein de crème et de framboises fraîches, vous voudriez l’avaler, à la fois qu’y dure, vous y arrivez pas, vous risqueriez d’étouffer, il faut se raisonner, mettre de l’air entre les bouchées. C’est pas très souvent qu’un livre me fait pareil effet – et cependant j’en lis de bons !

 

Les trois sont américaines. C’est singulier. Je ne crois en fait pas un seul instant qu’il n’y ait pas eu en maints endroits, à l’époque, des féministes radicales audacieuses et critiques. Je crois plutôt qu’elles sont restées isolées, fréquemment vilipendées par leurs camarades mêmes – et je songe particulièrement là à notre foutu pays où l’on n’est reconnue et diffusée qu’à condition, d’une part, d’être intégrée et fidèle à une ligne politique raisonnable, quand ce n’est pas carrément à un parti, d’autre part d’avoir ses grades universitaires. Le dernier point est hélas répandu sur toute la planète.

Une autre raison, en france particulièrement, est que la critique sociale radicale, comme bien d’autres activités, est restée un domaine de mecs. Et qu’ils ont même réussi, tous lucides qu’ils puissent être sur des tas de sujets, à la rendre misogyne. Actuellement qu’elle bat de l’aile, et que nous n’y sommes plus qu’assez peu, ça continue. Dans le même temps, le féminisme s’alignant sur le léninisme, avant d’aller se pacser au libéralisme, avait déclaré bourgeoise, masculine et haram toute velléité de critique systémique. On était mal. On l’est toujours. Il est aujourd’hui encore impossible de se référer aux deux, sans encourir une double excommunication et se retrouver seule, ce qui est le cas de votre humble servante ici scribouilleuse.

C’est une des raisons, mais pas la seule, pour lesquelles le féminisme radical et la critique sociale n’ont jamais pu faire jonction ici, et à peu près nulle part d’ailleurs. Il y avait eu une fenêtre d’ouverte entre elles autrefois, mais elle a été promptement refermée, et même murée pour plus de sûreté, de safety même, par les deux. Ce que je tiens pour un désastre historique.

 

Or, autant chez Solanas que chez Atkinson (peut-être dans une moindre mesure chez Firestone) et donc sans doute chez bien d’autres que j’ignore, c’est l’inverse : les questions se posent d’emblée comme ne laissant rien indemne, et ce en même temps avec ce que j’appellerai de la rigueur logique. Si – alors !

 

Elles avaient l’audace, l’impertinence, l’impitoyabilité de désigner et d’analyser comme formes sociales de domination des « évidences » auxquelles à présent nous nous sommes rattachées, et devant les portes desquelles nous faisons la queue, quelquefois au sens propre du terme, pour y être intégrées !

 

De l’audace. Il s’agit là de volonté, de disposition à, d’approche et d’audace. Nous avons été habituées, notamment celles qui n’ont pas connu cette époque, à penser que les conditions sont finalement indépassables, que l’esprit critique est une bonne capacité à calculer, enfin qu’en fin de compte, nous ne décidons ni ne pouvons décider fondamentalement de comment nous vivons, mais juste consentir ou pas à ce qui se présente, au mieux y proposer des amendements.

Dans les années qui précédèrent le triste toboggan des années 80, puis la faillite des 90’s, ce qui était décisif dans la pensée n’était pas le calcul des conditions préétablies, mais la tentative de savoir ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait pas. Ce n’est pas de cette volonté qu’est venu l’échec, mais bien plutôt de sa soumission progressive aux évidences, ainsi sans doute que de l’élasticité piégeuse des panneaux naturels dans lesquels nous donnâmes et redonnons encore d’ailleurs.

Audace aussi et sagesse en même temps dans ce qui était visé : s’occuper de nous-mêmes, nous-mêmes réelles et maintenant ; pas traire les abstractions civiques ou essentielles pour après se mettre le seau sur la tête. Il s’agissait de nous, pas de la femme, que celle-ci soit l’ancienne, comme le rêvent les complémentaristes, ou la nouvelle, à la Zetkin ou à la NVB (les deux ayant d’ailleurs un idéal sanitaire et social fort proche, à la libre concurrence près, et encore).

 

L’audace nous effraie nous-mêmes. Dès que nous sommes sorties du corral c’est souvent la panique : comment va-t’on faire pour ? Et ce pour, c’est souvent comment recommencer les mêmes rengaines, alors même que nous bvenons de les fracasser par provision et d’ouvrir le sépulcre du social. J’ai passé ma vie à revenir sur mes pas et à réenfiler les plus usées capotes idéologiques, qui puaient pourtant bien, ce pour sacrifier à un « réalisme » qui se révélait pourtant à chaque fois plus halluciné, aberrant et tyrannophile. Je me rappelle de Weil, Simone, laquelle n’était pas féministe mais en tenait, côté critique, plus que bien d’autres, qui une fois traités rasibus l’état et l’économie, est prise de scrupules et se met à ratiociner en rond, sur comment qu’on va... Là, j’avoue, je ne comprends pas pourquoi Atkinson, après avoir magistralement défini ce à quoi sert l’échange relationnel contraint, se croit obligée à des tortillements sans fin sur les restes du frotti frotta, comme si on n’avait justement pas bien autre chose à faire.

De même, son embarras vis-à-vis des lesbiennes (alors qu’elle-même est sur le point de déclarer la séparation) du fait de ne nous voir que comme ce que nous sommes effectivement majoritairement devenues depuis – une orientation sexuelle comme les autres dans l’ordre sexuel et relationnel d’un monde structuré par des formes m – et pas comme la réalisation immédiate, même si partielle, d’un monde de nanas structuré par des formes f. Ce qui existe toujours et que nous pourrions redevenir massivement si seulement nous le voulions, et nous arrachions à l’hypnose « réalisante » des hochets qu’agite devant nos nez la société patriarcale.

Ce qui importe ce ne sont pas tant ses remplissages inquiets ou stratégiques, mais ce qu’elle déclare, nettement, tranchément, à bien des endroits, et qui est la vraie structure de son œuvre. Ce dont nous pourrions nous débarrasser sans souci !

 

Solanas, sur ce point, était plus sûre d’elle. Elle disait carrément que si nous envoyions bouler ce monde, son orga et ses fétiches, nous n’avions pas à nous préoccuper de ce qu’il adviendrait de ses loques ! Que nous devions nous émanciper de ce que nous nous étions imposées comme des nécessités –et là, je rappelle Mémé Arendt ! Nécessités – paix sociale sur notre dos, lardons, famille, production industrielle et j’en passe – qui ne sont là que pour nous entraver, et aux noms desquelles toutes les révolutions se sont sabordées elle-mêmes (1).

 

Il est vrai que désormais, nous avons aussi bien souvent réussi à donner un sens plus acceptable, moins décisif, à des livres comme scum, par exemple. Où il semble que bien des passages, encore que tout à fait lisibles, aient été caviardés mentalement par consensus. On préfère ne plus y lire ce qui y est écrit, et se reporter sur d’autres, plus confortables et plus adaptables à l’intégrationnisme paritaire, comme à l’essentialisme de statut, enfin au productivisme matériel et existentiel.

 

 

Nous avons choisi, pasque je ne nous prends pas un instant pour des imbéciles sans cervelle ni volonté, un conservatisme intégrationniste à l’audace de remettre en cause les formes imposées. Nous en récolterons immanquablement les conséquences. La némésis historique et sociale est assez précise. Et nous les récolterons bien sûr dans l’ordre et l’inégalité habituelles au laisser-faire acritique et aux rapports de force invisibilisés : à l’une la m… à l’autre l’orange. L’intégration à des formes valorisées se fait toujours par sélection, au profit des unes et au détriment des autres. L’égalité formelle même n’existe que par rapport aux « autres », indispensables à sa constitution.

 

L’audace, c’est de refuser de porter, d’élever, de materner des petits futurs scrupuleux qui ne sont en fait que les renaissances du passé et du présent. C’est refuser de remplacer les véroles hétéra, familiariste, nataliste et j’en passe, par des « aménagements » tous plus pitoyables et appelants au contrôle social les uns que les autres.

 

Un féminisme critique qui ne se justifie pas pleutrement en se déclarant lui-même provisoire, mal nécessaire, « tant qu’il le faudra ». Parce qu’un jour il ne le faudrait plus, un triste Yalta de plus ayant été trouvé sur la fatalité de la binarité hiérarchique des activités et des valeurs ?! Ben m… ! Pas question, féministes toujours, pour une transformation réelle du monde, et un monde de nanas, de formes sociales ou antisociales qui ne nous bouffent pas, pour une émancipation joyeuse, pour la disparition du monde des mecs.

 

Nous manquons l’audace de développer, d’asseoir nos intuitions. Elles nous paraissent exorbitantes et elles le sont. Elles nous arracheraient à l’orbite de la pesanteur qui nous réattire sans cesse vers le sol et nous mène à nous crasher les unes après les autres dans l’enchevêtrement des évidences et des nécessités.

 

 

 

 

(1) Je signale, comme défense et illustration très documentée de ce point de vue, l’excellent article de critique politique et historique d’une camarade dans Sortir de l’économie n°4, intitulé « De la lutte pour Barcelone à l’éloge du travail », où elle montre très bien comment les anarchistes se sont tirées elleux-même un coup de canon dans le ventre en 36-37, en faisant des « nécessités économiques et politiques » une priorité indépassable.

http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/sde-n4-p25.pdf

 

De même, il sera sans doute indispensable, à moins de pétitionner notre propre crevaison, de relancer une voie critique sur comment la transformation des formes du patriarcat au sens étroit du terme – famille, (hétéro)sexualité, natalisme, intégration, etc. – en « nécessités sociales à se réapproprier » a conduit la plus grande partie de notre mouvement à une impasse peu glorieuse. Et sur comment en sortir.

 

 

 

 

 

 

 

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