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13 mars 2018 2 13 /03 /mars /2018 16:30

 

 

 

Outre la question que pose l’intégration/légitimation dans un pareil ordre social, dans ses idéaux même posés en opposition, « à réaliser », et ce qu’implique le légitimisme dans cette guerre hiérarchique, la tentation que nous manifestons fréquemment de conditionner notre légitimation à une déproblématisation in se de la sexuation sociale (pléonasme, puisque la sexuation est une fonction sociale) réduite à une expression a priori dont on ne questionne pas les aboutissants ni les objectifs, ne me paraît pas pertinente. D’une part pasque les rapports sociaux s’exercent majoritairement sans trop se soucier de si on les reconnaît tels ou pas ; d’autre part pasque ça pourrait vouloir dire que notre « raison d’être » à nous ne résisterait pas à une problématisation. Ce qui est idiot : il n’y a pas de raison d’être a priori non plus, la question part de ce qui est, et nous sommes, incontournables. Je pense même que lisser d’emblée le piochage sur ce que devient, à travers nous aussi, le rapport social de sexuation, c’est contribuer à donner raison à celles qui veulent notre disparition, et usent de la critique de ce rapport de manière fixiste et biaisée.

De même, il est je trouve bancal de nous circonscrire à  la thèse de la révélation d'une identité sui generis, quand on veut mener par ailleurs une réflexion critique par rapport à l’essentialisme que nous qualifions limitativement (mais justement dans bien des cas cas) de tradi ou binaire, qui avance lui aussi son museau comme d’une réalité supra, antésociale, où les formes et assignations classiques de la sexuation jailliraient toutes armées et pomponnées d’une détermination biologisante, intrinsèque ou en tous cas totalement objectivée.

La question pendante est celle de l’approche méthodologique : il y a chez nous une réticence à nous poser et penser dans le courant des formes du social, de leurs buts et de leurs modes de reproduction comme de changement ; comme si cela nous mettait plus en danger que la haine cis’, laquelle se fiche assez radicalement de complications à ce sujet et souhaite simplement nous voir exterminéEs. En toile de fond, reste la pensée absolutisme qui prédomine même paradoxalement dans les relativismes, lesquels n’arrivent pas à se reposer comme travail sur la réalité manifeste : si quelque chose peut être pensé historiquement, socialement, évolutivement, pourtant comme réalité complète mais pas comme immanence d’un au-delà ou d’en en-deça total, brut, alors cette chose serait potentiellement illégitime, en danger. Ce qui est finalement adhérer, fut-ce par défaut et à reculons, au fonctionnement de délégitimation appliqué à toutes les minorités inévidentes. Nous ne trouverons aucun refuge efficace dans l’essentialisme qui pose notre glissement, peut-être notre soulèvement dans, en partie contre les rapports de sexuation en l’état, comme une ontologie et un être immuable. Nous sommes et en, et un (et peut-être plusieurs) devenir(s), comme répétait un collègue, dans un monde qui produit sans cesse ses sujets. Nous sommes même sans doute moins a priori que la moyenne, de par la cuisine dont nous relevons. Et c’est (très bien) ainsi.

 

Je serais pourtant bien pour qu’on (se) facilite la vie. À fond contre les idéologies de la dureté, de la discipline et du sacrifice. Mais je ne sais pas si nous sommes en mesure, ni si ça résoud des contradictions en général, de subjectiver à l’image et sur le modèle des groupes les plus puissants et donc légitimes en cet ordre social, bref de vivre sans (trop) nous poser de questions, avec des réponses et assignations a priori. Avec succès, le succès étant donc de vivre et de nous manifester. Nous ne sommes pas une, des vérités révélées ; nous nous trouvons manifester des réalités complexes, évolutives, explicables et situables.

 

Nous nous trouvons, ce qui n’est pas notre apanage du reste, dans une place bien spécifique, conséquences de rapports sociaux que nous ne pouvons pas traverser, dépasser, résoudre d’un trait de plume ou de caractère, par la magie d’une volonté ou d’un a priori qui en découlent. Les ontologiser, certes, tente de nous faire rentrer dans la grande famille qui est bien d’accord là-dessus ; mais ne rentre pas qui veut, nous le savons très bien, dans cette logique légitimatrice qui distribue inégalitairement la valeur et ses possibilités. Nous sommes une manifestation de ce qui se passe, bouge dans ce social, essaie de le modifier, nous n’avons rien à chercher ni à trouver dans des mythologies naturalisantes ou ontologisantes. Lesquelles du reste ramèneront toujours à l’ordre instrumental hiérarchique qui nous pulvérise.

 

« Parlez moi d’moi, y a qu’ça qui m’intéresse » - mais en fait sous quelle conception de ce « moi » ? – « moi » sui generis, dans un logique finalement privative généralisée, hors situation et où le rapport social découle mais n’est pas envisagé à l’origine de la production de soi, ni de l’usage de ce soi. C’est ainsi que nous facilitons, en privilégiant finalement la reproduction et l’implicite, la tâche des antimodernes et autres réaques qui refusent que le rapport social, notamment de sexualisation, puisse bouger, avec ses manifestations et conséquences, et proclament que toute avancée n’est que celle de la décadence. La question du narcissisme par exemple peut être posée, mais là encore selon quelles modalités de son objet/sujet ? Il est tout aussi absolutiste et sans issue de conditionner la prise en compte de ce qui se passe à une exigence intégriste d'échappée des rapports sociaux que de chercher à éluder l'affaire.

 

Nous ne changerons pas grand’chose à comment ça se passe si nous essayons de nous couler dedans, ou de passer dans les interstices, avec une logique de toujours déjà été, ou bien de vertu immanente efficace qui dissoudrait la méchanceté de ce monde – d’autres ont déjà essayé et ça n’a pas vraiment marché. Nous devons probablement privilégier une critique a posteriori, prendre en compte ce qu’entraînent et déterminent les formes sociales qui nous produisent, nous constituent, et auxquelles nous restons si attachées, sans complaisance, réalistement, sans nous réfugier dans la vaine supposition a prioriste que si on les réalisait – comme si nous n’y étions pas attelées ! – nous aurions de tous autres résultats. Il nous faut remonter des conséquences vers les causes, et non supputer idéalistement les secondes des premières.

 

Je l’ai déjà dit il y a peu : la panique de genre, ou dans le genre, nous englobe aussi ; de même que la gentrification de genre et d’autres aspects du rapport de sexuation qui glisse, se fragmente, s’ébroue (enfin !). Il nous faut les analyser et les confronter, depuis nos places spécifiques. Arrêter de chercher à nous réfugier, bien vainement du reste vu l’illégitimation qui nous touche, dans la présupposition élusive de « caractères » présociaux, « anthropologiques » et qui seraient à l’origine des ordonnancements de comportement et in fine d’appropriation comme de pouvoir ; les buts sociaux façonnent les caractères et catégorisations qui leur servent. Il reste leurs contradictions dans les failles desquelles nous nous développons, à l’aventure, comme du bleu dans le fromage.

 

Peut-être aussi, plus largement, faut-il nous défaire du préjugé culpabilitaire que constituer un problème est un mal – c’est tout simplement constituer quelque chose du social ; contre ça, nous nous réfugions dans le mythe d’un social qui coulerait tout seul, ontologique, et où finalement tout le monde serait toujours et par principe « à sa place », ce qui effectivement peut être vu comme un état de choses désirables, mais qui sait aussi comme quelque chose de pas classe du tout, un éternel ordre a priori – joint au fait que l’immédiateté correspond à peu près toujours au processus de reproduction.

 

Vouloir participer de ce qui est en fin de compte la logique majoritaire, la logique de « ce qui va de soi », ou « soit devoir aller de si », cela casse en fin de compte les possibles logiques et compréhensions minoritaires que nous pourrions développer contre cet état de choses. Et comme ces logiques majoritaires sont évaluatrices et éliminatoires, elles instaurent chez nous un processus d’élimination interne, de plus en plus en fonction de critères et de fonctionnements finalement majoritaires, cis par exemple.

 

Nous devons faire retour sur nous comme situables et explicables, c’est la condition d’une approche réaliste et matérialiste de ce qui se manifeste à travers nous dans les rapports sociaux. Il y a en ce moment quelque chose qui bouge, chez nous, l’apparition d’une vague de critiques et théoriciennes qui réfutent et brisent la pensée intégrationniste et positiviste, laquelle a culminé dans l'engouement pour des œuvres comme Whipping girl, et a longtemps prévalu. Et ce sans forcément rester sur des critères d’identité.

 

Il semble qu’une issue, s’il doit y en avoir une, à notre impasse inclusiviste, d’emblée échec, se situe dans une négativation de ce dont nous nous formons, et des objectifs sociaux auxquels nous sommes prétendument appelées ; que la positivation, au contraire, paraît ne perpétuer que les illusions, les abus et les dominations. Négativation qui n’est pas déni, non plus que l’affirmation, mais remise en perspective et en discussion serrée de la bonitude supposée de ces objectifs intériorisés. Il faut aussi sans doute que cette critique se fasse a posteriori, conséquentielle ; non pas par phénoménalisme plat qu’on renverrait une fois de plus à l’évaluation selon les critères de l’économie politique, mais parce que ce qui se passe renseigne bougrement, aide à revenir de manière impitoyable sur le contenu logique de ces mêmes critères, dès lors qu’on les pose comme problématiques et non comme la référence à atteindre

 

Je pense qu’il nous faut contester, briser le lien traditionnel qui nous prend à la gorge entre l’exigence de légitimité et le présupposé de l’ontéité, d’ailleurs mener une critique de ce à quoi servent, encore une fois, ces genres de concepts à vocation à la fois absolutisante et mutiste, qui font sortir de la pensée, de la langue et de la vie sociale pour imposer d’investir dans un intemporel, un toujours déjà été, une absence de suite et d’explication. Sortir des images, des analogies, de la révérence envers les schémas reproducteurs, de la glu ontologique quoi, de ses justifications a priori et inefficaces.  

 

Tout est en la matière à défaire, à démêler en tous cas. On ne peut vraisemblablement pas sortir de cet ordre des choses, de ce « monde », ni même si on veut user de cette catégorie d’action elle-même sujette à critique « lutter contre », en positivant et en se réappropriant ses vieilles daubes structurelles et idéales, qui ne feront que nous confirmer en agentes de sa reproduction et de sa perpétuation. Il nous faut aussi briser cette position d’agentes : agir ne garantit rien, ne sauve pas, ne délivre pas par soi-même. Encore faut-il ne pas agir dans le sens de la répétition. Ce qui est loin d’être facile, nous sommes intégralement sujettes conséquences des rapports sociaux en vigueur, de leurs objectifs, et nous ne pouvons compter ni sur la magie de notre volonté, ni sur aucune intervention transcendante. Juste sur l’expérience que le social n’est pas fixe et que la connaissance d’où nous en sommes n’est pas totalement impossible. Enfin qu’il n’y a sans doute aucune fatalité d’unité, de convergence, de devenir commun et sororal à ces où nous en sommes.

 

Il n’y a pas d’issue à se terrer dans une logique d’a priori, qui tient que non, y a pas de problème, pas de question, que tout est déjà posé, signifié, cristallisé. Nous ne sommes pas sûres d’où nous allons, partagées entre le désir de nous intégrer dans les formes à réaliser de ce social et ce qui nous en pousse dehors, mène au retour critique sur çui ci. Il n’y a d’écrit en ce qui nous concerne que jusques où nous nous trouvons, à présent, dans un mouvement qui croît et que pour le moment aucune violence, aucun mépris n’arrête.

 

 

« Je n’ai/tu n’as jamais / j’ai/tu as toujours été/seras », même logique transcendante et idéaliste de déni du devenir social et du glissement dans le rapport de sexuation. L’affirmation ni la réfutation a priori ne nous protègent ni nous y font échapper. Faut arrêter. Il se passe quelque chose, point !

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La Bestiole

  • : transse et bie juskaux yeux ; vivisecte les économies politiques, premier, second marché ; acétone et antivitamine K - Le placard à Plume, la fem-garoue
  • : Un informel méthodique, exigeant, fidèle, pas plaintif, une sophistique non subjectiviste, où je ne me permets ni ne permets tout, où je me réserve de choisir gens et choses, où je privilégie le plaisir de connaître, c est là mon parti pris, rapport aux tristes cradocités qui peuplent le formel cheap, repaire des facilités, lesquelles en fin de compte coûtent bien plus. Je me vante un peu ? J espère bien. Déjà parce qu ainsi je me donne envie de mieux faire. Hé puis ho ! Z avez vu les fleurs et les couronnes que vous vous jetez, même l air faussement humble ? Faut dépercher ; quelqu'orgueil assumé vaut mieux qu une pleine bourse de roublardise attirante. Je danse avec le morcellement et la sape de l'économie, de la valorisation, de la fierté, de l'empouvoirement.
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