Second marché : nous avons de moins en moins accès à la valeur « proprement dite », premier marché, de thune ou de matrimoine, indispensable pour exister et être représentées dans les structures inégalitaires et concurrentielles de l’économie ; mais nous ne voulons à aucun prix quitter ces structures (d’ailleurs, le pouvons nous, là comme ça ?) – parce que sans parler des soucis matériels, ce serait nous quitter nous-mêmes, cette individue propriétaire des choses, de soi et d’autres. Nous les remplissons par conséquent avec des monnaies de substitution, dignité, légitimité, imagerie, ou des rapport sociaux supposés « moins médiats », affectif, sexualité. Second souffle pour la logique libérale et les éléments assignés masculins. L’échange marchand qui n’a plus de fonds glisse vers ce qu’il était de toute façon déjà, implicitement, célébration, dinette, monopoly relationnel. L’important est de toujours faire comme si ça continuait. Et, dans une mesure où certes il manque toujours plus, plus pathétique mais toujours aussi férocement concurrentielle, obnubilée, ça continue ! Yahou !
L’injonction intériorisée, intégrative, existentielle et valorisatrice à la légitimité par vertu intrinsèque convergente dans les exigences de l’échange, à l’identité, à la relation, à l’affectif, à la dignité est systémiquement, si secondaire, appropriatrice, masculine et hétérosociale. Elle joue désormais le rôle de substitution/continuation à une économie politique de « premier marché » défaillante, peut-être sur sa fin. Les multiples facettes et sectorisations d’un même rapport social qui nous détermine, nous assigne, nous agentise et nous ramène toujours à la même daube. Le « retour à l’humain » n’est autre que la perpétuation appauvrie de l’ordre valorisateur. On fait ce qu’on peut/veut, okay, mais après faut pas pleurer d’en obtenir toujours les mêmes conséquences. Le second marché, au reste, se subronnne de lui-même aux conditions du premier, se prétendent juste une échelle idéaliste pour escalader celles ci.
Le second marché, est celui auquel les minoritaires et autres perdantes ou loquedues sont, à divers titres, prioritairement assignées, parquées, l’arène où elles doivent se concurrencer, s’éliminer, faire leurs preuves d’adhésion forcée aux normes majoritaires d’une part, et s’aligner dans la production d’un peu de valeur supplémentaire subsidiaire, de monnaie substitutive d’autre part, toutes conditions à une subsistance perpétuellement précaire et provisoire. Nous n’avons évidemment, de notre position de faiblesse, le moindre devoir moral à inventer quelque chose en remplacement, qui en plus comme d’hab’ aura toutes les chances d’être récup’ par les mieux pouvantes ; mais nous ne devons pas non plus ne pas faire comme si la logique même des économies n’était pas contre nous.
C’est elle qui fait de nous, irrémédiablement, et nous coince dans des statuts de têtes à claques, au sens figuré comme propre, des positions où nous devons sans cesse surnager et finalement par le mouvement même de la survie déférer au schéma concurrentiel qui nous tape dessus, entrer dans des fonctions qui vont de la représentation exotisée à la garde des zones d’accumulation économique (hé oui, bien des trans’ et des transses sont dans ces métiers), en passant par tout l’informel, le paraquelque chose, la gestion relationnelle, que sais-je ? C’est là où les soutes du premier marché pompent dans les réserves de plus en plus peuplées du second ; et là où nous sommes censées nous détester d’être là dedans. Hé ben non, on ne fera pas ce cadeau non plus, ce n’est pas aussi simple. Même notre propension à l’élitat subalterne nous est particulièrement brutalement imposée, en marche ou risque de crever. C’est là toute une réflexion à mener sur les contradictions et le tamis intégratoires : non, non et non, nous ne sommes pas à son origine, ou pas plus que n’importe quelle majoritaire. Donc zébi pour la culpabilisation. Et si nous ne parvenons pas, ce qui est le cas aujourd’hui, à en sortir, hé bien c’est pas pour autant qu’on acceptera de se le voir imputé. Zut. Mais nous ne nous passerons rien à l’as pour autant, de toute façon ça on peut pas non plus, c’est en quelque imprimé en creux sur nous. Cesser avec les fables de la bonne volonté. Seules les majos peuvent être très « conséquentes », faire comme elles disent, ne pas se retrouver en porte à faux, perpendiculaires avec elles-mêmes, parce qu’elle ne le sont pas aux exigences de valorisation ; les majos peuvent rester immobiles, ne rien demander, attendre le bon vent et n’avoir que très peu tort ; les minos sont contraintes de se déjuger, de se donner tort, comme toutes les qui ne peuvent pas « rester en place », sont obligées de se mouvoir pour survivre, de se discréditer et de jouer à la roulette ; nos élites endogènes et subal’ le font pour quelque chose, qui leur est vendu fort cher ; la plupart d’entre nous le font juste pour rester, subsister. Et c’est bien sûr sur nous, loquedues, que la condamnation, comme le mépris, retombent. Il n’y a pas de hasard dans les économies.