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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 10:52


 

 

Grandes engueulades sur les légitimités, comme d’hab. Qui peut l’ouvrir, sur quoi, comment, etc etc. Le légitimisme piétinant. Ça s’en va et ça revient, comme dans la chanson éponyme. Ça revient surtout et ça s’installe partout. C’est devenu même une des grandes causes du casuisme moderne, où l’accord sur les dogmes est massif, et où toute l’énergie passe en controverses sur leur réalisation. Qui fera mieux que l’autre ?! Et combien nous devons nous contorsionner, quand ce n’est pas nous sectionner, pour rester dans les clous de formes tordues, auxquelles il arrive de carrément s’auto-contredire ! Ça c’est la discipline favorite à hamsterlande. Des fois c’est une vraie performance à contempler…

 

Toute ressemblance avec diverses situations historiques, quelquefois fort anciennes, n’a rien de fortuit.

 

Là c’est au sujet de la Parole, une des grandes monnaies d’échange et de thésaurisation qui ont cours actuellement sur le marché politico-existentiel.

 

Prise de bec au sujet d’une émission « féministe et de genre », toute aussi répétitive que les autres émissions militantes, qui s’évertuent avec succès à ne surtout jamais déranger les consciences ni des auditeurEs, ni des speakeurEs. Comme toute émission de quoi que ce soit, au reste, ou à peu d’exceptions. Mais il y en a qui s’en vantent, et d’autres qui se vantent de l’inverse. Si tromperie il y a, elle est plutôt là.

 

Au mieux, ou au pire, l’émission en question, un chouïa plus cynique dans l’asservissement au consensus que la moyenne du genre. Et qui porte fort mal son titre, lequel eu pu valoir un programme, stupidement offert, par celle qui vous cause, dans une de ses dernières convulsions participatives. Mais ce sont là broutilles dans le naufrage politique et intellectuel.

 

Fraude sur le marché de la Parole, clame-t’on (ah, non, chez nous c’est « abus », c’est vrai).

Et mon œil ; depuis quand peut-on frauder la daube ?! Là, c’est un peu pupuce qui se fiche de pupuce. Qui lui a chouré pupuce. La zizanie dans l’identité, quoi.

 

Pupuce, ici, c'est la Parole, et les porteurEs de Paroles, elleux-mêmes Parole. Pupuce partout.

 

Mais bon. Que cellui qui n’a jamais, hein… J’ai trop applaudi, servi, nourri d’aberrations et de crapuleries dans ma triste vie en queue de poiscaille (!) pour ne pas m’en souvenir… D’où j’parle, hein ? comme on dit en novlangue. Je vais donc parler non des gentes mais de la chose.

 

Cela dit, dans ce cas, la chose, c’est nous. Et nous sommes la chose. Épineux.

 

Le marché de la Parole : elle est légitime, ma Parole, elle est légitime ! Ça me rappelle les sympathiques harengères fort redoutées lors des soulèvements parisiens. Et dont la faconde était célèbre sous l’ancien régime.

Mais voilà, comme à chaque fois que quelque chose est devenu fétiche collectif, la question posée revient à qui a le droit, la légitimité, d’en user, comment, et en engueulades sur le niveau de chacun chacune tout au long de l’échelle qui monte vers le ciel du bien, ou descend vers l’enfer du mal.

 

Ça se bouscule, récrimine, dépiaute, concurrence autour de la chose évidente et incritiquée. La légitimité certes, mais, finalement, je m’en rends compte, le statut de plus en plus sacré de la Parole, qui tend à occuper, comme une bouche géante, tout l’espace du manifesté. Et à l’occuper en tant que telle. Je Suis la Parole, je suis porteuse de parole (je suis statutaire ou citoyenNE, et productrice, quoi, en somme et finalement). Donc ce que je porte doit avoir place, point. C’est la fétichisation de la parole en Parole qui engendre l’obsession de légitimité. Que celle ci soit « matérialiste », c'est-à-dire néo-essentialiste, attribuée aux groupes sociaux eux-mêmes fétichisés, poupées vaudou bourrés de bien et de mal, de paniques et d’espoirs, ou à l’inverse décrétée universellement valide par son statut propre et décernée aux Moi en déroute, touTEs égalEs dans l’insignifiance dépossédée – la Parole Citoyenne et Démocratique.

La première est plus hamsterlandienne, spécifique et militante ; la seconde sourd de toute la bonne volonté participative, invasive au besoin. D’ailleurs, quand les deux se heurtent, ça fait des étincelles. Et ça permet de croire un instant à une opposition réelle, qui est plus vraisemblablement une concurrence parmi d’autres dans la réalisation du même.

L’autre n’est pas plus pertinente que l’une. Et je comprends infiniment les énervements, dont je fus une grande pratiquante, et quelquefois encore, devant les impudentes imbécilités de celleux qui prennent la place d’autrui pour prouter leur Moi omniscient. Mais voilà, puisqu’on a tout confié à la Parole, qui est par définition immatérielle et in-différente - et puisqu’on a proclamé que les places, c'est-à-dire les ex-personnes, nous réduisons à une suite d’identités et d’aléas sociaux évaluables - ben ce genre de situations n’en peut être que facilité… Une fois de plus, on se plaint de ce qu’on a résolument provoqué. L’imposture, le sans-gêne, sont la vérole pandémique du Paroli durable. 

Pour ça qu’il y a de certaines indignations, qui feraient bien de s’interroger elles-mêmes, avant d’aller porter le fer de la justice sur leurs concurrentes…

 

Dans tous les cas de figure, je crois qu’il s’agit pour les susditEs sujetTEs de s’autoproduire, via la Parole, usine omniprésente. Les gentes, sociologues en tête, qui semblent trouver ce monde extraordinaire et indéfiniment perfectible, n’y voient rien à redire. Pour ma part, j’y vois le désastre de la réduction de tout et de touTEs à des produits. Production/consommation, rien ne doit y échapper ; la Parole est à la fois usine et marché.

Elle est même devenue besoin, ce « produit au carré » selon Anders (1), nécessité des plus emblématiques du monde de la privation abondante. Produit par lequel nous passons, comme par les trous d’une passoire, pour devenir ce que nous devons être, et rien de plus – ni de moins, surtout pas de moins ! Le moins est banni, le plus sujet à justification. Nous peuplons l’empire du moindre mal et de la portion congrue.  

 

Se profile partout dessous le Moi, ce moi complètement dépossédé et mutilé, ce reste de la personne et du rêve de sujet moderne, ce moi qui ne parvient plus, comme s’il clamait des profondeurs, qu’à se faire Entendre – et Reconnaître. Écoute et reconnaissance, ces fantômes d’existence…

D’où la bousculade sur la scène toujours trop étroite des manifestations de ce moi, de ce sujet qui cherche à la fois l’égalité formelle et la diversité, l’idéal des marchandises, pour quand même apparaître, comme le fantôme qu’il est.

D’où les ratiocinations sur qui détiendra le plus de légitimité, puisque l’égalité formelle basée sur des abstractions passe son temps à re-produire de la hiérarchie. Elle n’a pas trouvé d’autre moyen de s’inscrire et de se manifester, de faire semblant d’avoir une épaisseur. Bref, la concurrence, le marchage sur les pieds, l’imposture et l’impudence à parler pour autrui, la fameuse invisibilisation etc. sont les conséquences nécessaires et inévitables de la rage à réaliser, incarner, s’arracher réciproquement et porter le saint-sacrement contemporain. Pour y voir clair, il faudrait déjà cesser de s’attrouper.

 

La Parole, ce n’est bien sûr pas le simple usage de la parole, le fait de parler, de discourir, de médire, que sais-je encore, toutes ces possibilités. Non, c’est comme pour le dédoublement de bien des choses dans le monde moderne (voir la critique du travail) ; la parole devient Parole lorsqu’elle énonce et se pose en traduction autorisée, partout valable (ayant cours, comme une monnaie, encore une fois) de ce Moi paniqué, du sujet. Et que son objet est de placer ceTTE moisujetTE bien à sa place, bien en vue, sur le marché, sur la scène où nous jouons jusques à la mort. Que moisujetTE soit bien là où il faut, bien reconnuE, prisE en compte (primordial, le compte doit y être !), incontournable et indépassable. La parole sert à parler, la Parole sert à être là, à n’être pas oubliéE dans le grand frichti. Á déposer le statut sur pattes qui nous tient lieu de justification. D’autor et avec garantie mutuelle. Enfin, dans l’idéal – la réalisation est plus bordélique. Mais l’important, c’est que la Parole soit, par principe, révérée. C’est à peu près tout ce qui reste de chance pour se sentir être à la plupart de nos débines.

 

La Parole est tellement clivée de la parole qu’elle l’écrabouille littéralement, avec le langage et la compréhension, pour ne pas dire même l’intelligence, au vieux sens de communauté intuitive entre les humainEs. Elle est unidimensionnelle et univoque, elle n’est plus même vérité, elle est, tout court. Elle est incontestable. Il est malvenu, mal vu d’y trébucher sur des incohérences ou des impossibilités. Il nous les faut franchir en bondissant, au contraire. Les plus zéléEs volettent par dessus.

Elle s’impose, comme s’impose le monde que nous n’imaginons plus même fuir, et auquel nous voudrions juste trouver quelques aménagements. Que ce soit volontairement ou malgré elle. Il n’y a plus de profondeurs, de chausse-trappes, de mensonge. Plus de doute et d’équivoque. Par son statut même, la Parole n’est qu’affirmation. Elle verse même souvent dans la tautologie. C’est qu’il nous faut un monde safe, et un monde où la Parole aurait des recoins ne serait pas safe. Peut-être même irrespectueux.

Or, les temps de grandes affirmations ont souvent été ceux de folies rationalisées et d’exactions innommables.

 

La Parole se balade désormais toute seule, forte de notre énorme croyance, de notre participation sans arrière-pensée, écrasant ce qui a quelque épaisseur, et la malchance de se trouver sur son passage. Quand vous voyez poindre la Parole, sauvez-vous, si vous le pouvez ! Même si vous lui avez délégué votre voix, elle ne vous en saura nul gré et ne vous en marchera pas moins dessus. Pas d’illusion ; une divinité n’a rien à fiche de nos contingences de mortelLEs. Et, comme pour toutes les abstractions réelles, ses effets sont tout à fait matériels. Définitifs.

 

La Parole illustre le degré présent de décomposition des personnes dans la représentation. Elle est devenue une des monnaies du marché des sujets sociaux. Nous croyons en user, et ça fait un bon moment que nous ne la maîtrisons plus. Nous sommes obligéEs d’y passer.

 

La Parole perd tellement de signification, qu’elle finit par se mêler de plus en plus intimement à un autre caractère sonore de notre époque, le bruit. Nous sommes réduitEs à bruire.

 

Pas par hasard que la militance et autres lieux de l’insatisfaction modernes, comme la psy, sont des endroits privilégiés de production comme de recherche de Parole, de Moi- ou de Nous-Parole. On y vient même souvent pour cela, comme on irait dans une zone de développement pour trouver du boulot. Il arrive même qu’on puisse y être déçuE, quand on en fait vraiment trop et que les autres vous rembarrent. Ah, l’espace de la Parole, qui, bien sûr, est toujours trop étroit. La Parole est comme la Valeur, elle excède toujours la réalité. Ça finit fatalement par se marcher dessus.

 

La Parole nous constitue en exactement ce qui correspond au post-modernisme économico-politique avancé, avarié, institutionnel, soucieux et soigné, à la dissolution du commun et du réel, au morcellement en autistes hargneuXses et revendicateurices, isoléEs ou aggloméréEs. On finit même, prioritairement aux choses, bénéfices, etc. à réclamer la Parole (avec sa sœur l’Image). Les drama les plus cocasses en surgissent. C’est comme le fric, tant qu’il y aura de la Parole, avec le grand P, il n’y en aura jamais assez pour tout le monde. De légitimité non plus. Par principe, ces richesses boursouflées de vide créent une pénurie inimaginable. Une pénurie de nous-mêmes, auto-vampiriséEs, et qui ne pourrons jamais nous remplir avec les monceaux d’absence médiatisée que nous avons produits à partir… de ce même nous-mêmes.

Pire : la Parole fait disparaître, littéralement, ce qui cherche à se manifester à travers elle ; c’est le destin de tout ce qu’on essaie de placer à valeur égale, sur un plan en dernier ressort fictif. Quand ce n’est pas victime du cannibalisme de la bousculade, ça passe dans l’indistinct et, au final, l’inexistant. Bouffé par l’abstraction qui affirme égaliser, et qui néantise, ne sachant d’autre voie pour y parvenir.

 

Enfin, last but not least… la Parole sacralisée, comme les vestales, est autant à son large que ces dernières. Enfermée dans le temple – et nous sommes touTEs le temple, à la fois unique et démultiplié. Surveillée et évaluée. Il n’y a pas discours plus pauvre, rôlé et répétitif que celui d’une parole devenue valeur sociale et représentation des vivantEs, avec les enjeux qui vont avec. L’instrumentalisation à son comble sous l’étendard de l’autonomie. Plus la Parole est décrétée autonome, plus elle est contrainte, contrainte à servir nos illusions et arnaques. La Parole est injonctée libérée, après pourtant bien d’autres démonstrations de cette antiphrase qu’est la libération. Gare à qui ne le sera pas ! Rien de plus discipliné, de mieux autocensuré qu’une Parole déclarée Libérée. On en attend tellement, s’agit pas qu’elle déçoive…

La morneté incroyablement répétitive, autocensurée, limitée jusques dans les sujets traités, des productions militantes en est une conséquence qui ne peut que laisser amère ; elle fait une triste concurrence aux automates de la mesquinerie ressentimenteuse et fréquemment abrutie qui peuplent forums, listes et commentaires.

Mais voilà, quand on veut un monde sans Mal, univoque, et même, finalement, un Monde tout court… Totalité du bien, de la gagne, de la safety et toute la ribambelle des désirées… Que tout le monde soit contentE, heureuXse. Un bonheur insoutenable. Ce qui n'empêche d'ailleurs nullement de s'entrepiétiner, suriner et abandonner, bien au contraire - chacunE pour Soi et l'institution de Procuste pour touTEs. "Universalistes" et "anti-U" pêle-mêle.

Eh bien on en a les conséquences, qui prennent la plus grande part. Les fameux faux-frais. Les conséquences de l’impossibilité. Les conséquences de vouloir ce qui est déjà à l’œuvre, en croyant que c’est l’inverse et en rêvant que ça puisse aller ailleurs que dans le trou où nous sommes. En un mot, Nemesis.

 

Ce à quoi on pourrait s’attaquer, en cas de rupture de l’auto-envoûtement, c’est à la notion même de légitimité, et à celle de la Parole, la première structurant l’autonomie de la seconde (au sens originel du terme, elle devient son propre principe autojustifiant, comme la marchandise, par exemple), laquelle anéantit personnes et réalité. Le contenu compte peu, ce qui compte, c’est qu’elle soit reconnue Parole, ectoplasme qu’exhalent nos baudruches sociales. La Parole se comporte exactement comme tout ce qui devient valeur, elle échappe au contrôle et nous investit comme si elle était nous-mêmes – avec ses lois et déterminants.

 

Une possible émancipation, si ce terme suranné, aplati au rouleau à pâtisserie des libérations, c'est-à-dire en novlangue des intégrations, si donc ce terme parle encore à quelquEs unEs, passe probablement par le déboulonnage de nos idoles intériorisées. La Parole, avec son grand P, en fait désormais partie.

 

Et on pourrait alors recouvrer, qui sait ? l’usage du langage, cette périlleuse invention. Avec tous ses imprévus. Son manque rédhibitoire d’assurance. Ses entourloupes. Sa connaissance dissolvante de l’abstraction. Ouh là là, rien que d’en causer j’ai le vertige. C’est ça quand on admet de ne pouvoir tout prévoir et maîtriser.

 

Pasque bon, on a beau vouloir nettoyer, le réel ne se soigne pas. Et retoc.

 

 

 

enterrée vive et dommage collatérale (qui sont dans une même décharge)

 

 

 

(1) « Pour que les produits trouvent leur compte, c'est-à-dire pour que la production suive son cours, il faut produire un autre produit – un produit au carré – et l’intercaler entre le produit et l’homme : ce produit s’appelle le besoin. »

Günther Anders, L’obsolescence de l’homme.

 

 

 

 

 

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La Bestiole

  • : transse et bie juskaux yeux ; vivisecte les économies politiques, premier, second marché ; acétone et antivitamine K - Le placard à Plume, la fem-garoue
  • : Un informel méthodique, exigeant, fidèle, pas plaintif, une sophistique non subjectiviste, où je ne me permets ni ne permets tout, où je me réserve de choisir gens et choses, où je privilégie le plaisir de connaître, c est là mon parti pris, rapport aux tristes cradocités qui peuplent le formel cheap, repaire des facilités, lesquelles en fin de compte coûtent bien plus. Je me vante un peu ? J espère bien. Déjà parce qu ainsi je me donne envie de mieux faire. Hé puis ho ! Z avez vu les fleurs et les couronnes que vous vous jetez, même l air faussement humble ? Faut dépercher ; quelqu'orgueil assumé vaut mieux qu une pleine bourse de roublardise attirante. Je danse avec le morcellement et la sape de l'économie, de la valorisation, de la fierté, de l'empouvoirement.
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