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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 10:07

 

 

S’il y a quelque chose qui est emblématique de l’époque d’internet, après le copier-coller, ce sont bien les commentaires. Autrefois, il y a fort longtemps, les Commentaires étaient des œuvres, à part entière. De nos jours, enfin depuis donc dix, quinze ans, cela consiste, en tant qu’attache de glaire à la moindre affirmation, en un déversement ininterrompu d’opinions, de la bile, de la mesquinerie, de la haine et, pour tout dire, de la stupidité ambiantes. J’avoue, je reste même régulièrement estomaquée devant l’impudeur totale avec laquelle ces …… s’étalent sur la « toile ». J’en viens à souvent éviter de les lire, tellement ils sont prévisibles (notre prévisibilité, notre acteurisme, c’est d’ailleurs sans doute un des meilleurs garants de l’ordre du naufrage).

 

C’est marrant, d’ailleurs, dès qu’on écrit quelque chose d’un peu fouillé et imprévisible, plus de commentaires, muets, si ce n’est rarement un « sale élitiste qui cause de questions non registrées, auxquelles on n’a pas déjà toute une séquelle de réactions prédigérées ».

 

Je me désennuyais ainsi l’autre jour en lisant le blog d’une collègue t. On y causait cette fois, et pas spécialement « affirmativement », de t et de tapin, vous voyez tout de suite le tableau. Ça n’a pas manqué, comme la confiture attire les mouches. On a eu droit, entre autres, à la tradie de base, celle qui « n’est pas transphobe » (pardon, transchose), mais… ; et à sa nécessaire et bienveillante antithèse, qui nous adore tout autant et hait tout autant la méchante phobie.

 

Ben oui, qui pourrait ne pas nous zaimer, les t-lesb, de même d’ailleurs que pratiquement toute autre catégorie « affirmative », hein ? C’est comme les prisonniers politiques. Vous aurez remarqué qu’un des progrès incontestables du monde moderne et du droit positif exacerbé, c’est qu’il n’y a plus de prisonniers politiques. Sauf peut-être dans quelques régimes tout à fait attardés comme la Birmanie. Qu’on soit en démocratie ou en dictature ou en « populaire », que des droits communs, des criminelLEs. Et on aurait tort de s’en inquiéter ; c’est au contraire un grand pas en avant qu’il n’y ait plus que des criminelLEs. Y a que de l’amour, des coupables et des anges.

 

Il n’est pas possible de « pas aimer », dans le monde de l’amour et de l’affirmation. En tous cas de le dire. Il faut trouver un biais. Rien de plus facile.

 

Donc la tradie, puisque nous avons nos tradies, que ce soit à lesbolande ou à translande (ça peut donc même, dans quelques cas, être les mêmes). Là c’était une classique, donc une biolesb tradie. Et qui bien entendu hait les trans, sans le dire tout à fait comme ça sauf quand elle est avec ses copines (celles dont elle est sûre qu’il y a ni t ni t-phile dedans).

Ce qui est fascinant, c’est la fascination envers ce qu’on hait, qu’on craint, et dont on prétend ne pas dépendre. Je causais l’autre jour du Test de Bechdel. Eh bien c’est perdu d’avance, par exemple pour les tradies, néo ou anciennes, qui ne parlent à peu près que de mecs, ou de trans, ou de tout autre chose que d’une socialité de nanas. Laquelle a l’air de faire peur à tout le monde, rien que l’évoquer angoisse. Á moins qu’en réalité on n’en ait rien à f… ; c’est vrai que ce qu’on pourrait souhaiter semble bien moins appétant que ce qu’on déteste. La haine avive.

 

Le ressentiment et la haine. Des fois pire envers les t qu’envers la meccitude, qu’on envie, dont on voudrait se réapproprier le bien triste monde de puissance brutale et d’efficacité mécanique supposée. Mais les t, et particulièrement les t-lesb, là, pas de grâce. On les hait d’autant plus qu’elles nous ramènent à ce qu’on voulait fuir, la f. Le féminin, ce pochon qui rassemble en vrac tout ce qui est pas bien, dans le monde du neutre masculin. La haine du f, de ce qui est estampillé f, est une des mieux partagée.

Le ressentiment, la haine et aussi la bêtise, indépendamment d’ailleurs de l’intelligence bien attestée par ailleurs des protagonistes. Il y a des sujets qui rendent bête, par leur seule fréquentation en tant que sujets, par cette fascination dont j’ai parlé il y a peu. Qu’on songe simplement aux imbécilités qui ont pu être écrites sur les t par Mercader, Reymond, les nanas de Sysiphe. Qui ne sont pas des imbéciles. Mais de quoi nous en plaindre ? Ne pouvons nous pas être aussi bêtes, et d’une ; et d’ailleurs, que faisons-nous toujours à nous laisser sujetiser, en espérant d’hypothétiques dividendes ?

 

C’est pas nouveau, c’est pas demain que ça se terminera, j’ignore d’ailleurs si ça doit se terminer et si ce serait mieux ou moins bien ; comme vous le savez mais je le repète, je ne m’en offusque ni ne m’en indigne. Je ne dis pas « oh, c’est mal, ça ne devrait pas être ». C’est. Et ce n’est pas avec de bonnes, ni de mauvaises paroles, ni de la correctitude, ni de l’anti-correctitude, qu’on en sortira, si d’ailleurs sortir on en doit. Ça peut m’énerver, surtout quand les tradies en question, comme on peut le voir par exemple à Lyon, où furent autrefois commises quelques horreurs, rangent bien ça sous le drapeau rainbow, se reconfectionnent un hymen politique, voire politicard, au cas où, et proclament combien elles sont pro-t, combien elles soutiennent les pauvres t opprimées, etc etc. Leur haine tremblotante, toujours aussi vive, se couvre alors d’une obséquiosité risible et lourdingue, tout à fait parallèle à celle des mecs profem.

Je conseillerais d’ailleurs, d’expé, aux t qui subissent ce genre de léchouille, comme d’autres genres d’ailleurs, de se garder. Déjà c’est tout simplement dégoûtant. Ensuite, seulement ensuite, c’est hypocrite. Enfin, d’un simple point de vue de survie, on est nécessairement exposées au retour de bile, et la bile brûle, sachez le. Autant que le vitriol. On l’entend quelquefois qui clapote, abondante, au fond des conversations, ou encore comme dans un certain manuel « n’attrape pas de boutons en baisant ! » dont il a été aussi largement causé. Où les boutons étaient autant identitaires que médicaux : « si tu touches unE trans, es-tu vraiment lesb ? ». Beh oui, pasque lesb, bien sûr, ce ne peut être au fond et que bio, et surtout que cul. Comme toutes les zidentités qui vont d’elles-mêmes. Réappropriation transgressive des formes du patriarcat oblige.

Je ne saurais en tous cas mieux dire qu’elles : lâchez nous, effectivement ! Et à nous : envoyez les bouler.

Prenons les devants : ne nous laissons surtout pas tripoter. En aucune manière. Moralement ni physiquement. Et encore moins politiquement. Ainsi nous nous préservons, de même que leur pure identité biolesb ; double effet don’t kiss cool.

 

Et nous, cessons de nous approcher, de nous laisser approcher, de croire, et de nous laisser aller aux illusions des intégrations, des sororités, des convergences. Cessons d’endosser les dogmes des autres et de surenchérir dessus, afin de nous justifier d’être là (et de tenter d’avoir notre part de la gamelle représentative !). Cessons d’attendre ou de chercher reconnaissance et tous ces bibelots formels. Envoyons les à la gueule des celles qui en jouent – chez « nous » comme chez « elles », scène de ménage ! - et cassons nous. Ne nous laissons pas valoriser.

Cessons de nous lamenter, de nous dire déçues, opprimées, discriminées, utilisées. C’est là aussi nous offrir aux coups, tout en renforçant le victimaire, lequel conduit répétitivement à implorer plus de bienveillance par plus de domination (pourvu que tout le monde en prenne sa part dans la tronche ; quel idéal !). Barrons nous. Sans quoi nous resterons toujours accroupies, à nous plaindre de l’arnaque permanente. Et à nous remplacer nous-mêmes par du copié-collé de supposée parfaite lesbio. La classe…

 

Le ressentiment, la haine, ne sont jamais exclusives de l’usage, de l’utilisation, de l’usure, et du foutage de g… ; bien au contraire ! Je lis ainsi, sur un copié-collé, justement, d’annonce de réunion non-mixte, au beau milieu, « « Parce que quand tu es trans, tu es souvent invisibilisée ». Lu sur un vrai copié-collé annonçant une vraie réunion non-mixte. Invisibilisée !!! La bonne blague, surtout sous le clavier (une touche) d’une bio. Invisibles !!! Le mot même qui montre que la personne qui copie-colle n’a pas un instant réfléchi au contenu de ce qu’elle copiait-collait. Catéchisme et racolage. On ne sait ce qui l’emporte, du mimétisme ou de la mauvaise foi utilitaire. Reproduction acéphale du slogan « bienveillant », « inclusif ». Alors qu’il n’y a pas plus visible, dans la plupart des cas, qu’une f-t. Visibles physiquement, mais encore plus, si possible est, politiquement et existentiellement. Suspectes et boulets permanentes. Et, comme je l’ai déjà fait remarquer, néanmoins utilisables. Hein, il ferait beau voir qu’on ne puisse pas s’en servir, de ces t qui ont l’outrecuidance de « effer ».

 

Je me sens pas mieux avec les pas-tradies, les queer ou les « pro-sexe » (comme si les autres étaient anti !), lesquelles autant que les tradies n’ont de cesse de vouloir intégrer et s’approprier avec ardeur un peu tout, au petit bonheur, ce que ce monde à de puant et de néfaste. Á quelques disputes près sur les secteurs autorisés ou pas, elles ont exactement les mêmes buts et idéaux. On dirait pourtant pas à voir les amabilités qui s’envoient des unes aux autres. Concurrence : qui portera le drapeau, les couleurs ?

(C’est marrant, j’ai déjà remarqué cette situation, qui peut être cocasse, chez les catholiques de diverses tendances ; sans doute est-ce le cas pour toutes les croyances. Au reste, on ne peut vivre sans croire – ça nous frappe toutes. D’une manière ou d’une autre.)

 

Á t-lande, ce n’est en effet guère mieux. C’est là même un euphémisme. La passion de la légitimité et du néo-essentialisme est aussi nôtre. Es-tu op', vas-tu l'être, es tu t 24/24 ? Ne songes tu jamais à détransitionner ? N'es tu jamais lasse ? Comment te rêves tu la nuit ? Es-tu « affirmative » en toutes circonstances ? Ah, à moins de ça, tu ne saurais être que douteuse. Heureusement que nous avons aussi nos poubelles (travlande, etc.). Comme les biolesb ont les bi et les t.

Au fond, le monde actuel n’est qu’une grande entreprise frénétique de grattage, de récurage, de javellisation et d’écologie quotidienniste : les poubelles, n… de d… ! Sans les poubelles nous ne saurions vivre. Á ce point que nous en prenons petit à petit la forme, nous-mêmes.

Une grande déchetterie, avec ses bacs attribués, déchetterie de nos angoisses, de trop, de pas assez, où nous nous sommes enfermées, histoire de faire comme les autres, pour justement ne pas risquer d’être autres en quoi que ce soit. Concurrence et similitude. Le « matérialisme », ou ce qu’on appelle tel aujourd’hui, c’est surenchérir dans le même, ce qui est normal pour une logique comptable.

Que cela fasse plus que ressembler à l’économie des biens, qui ne survit provisoirement qu’en éliminant, au sens strict du terme, de plus en plus de populations non rentables (la légitimité en la matière), n’est probablement pas un hasard malheureux. Non plus qu’à l’illusion antique et daubée qui croit que la violence systémique, moyen et garantie de cette extermination réciproque, est une condition d’émancipation. Nous ne faisons alors qu’actionner béatement la broyeuse dans laquelle nous avons déjà le croupion.

 

Féministe anti-intégration, antilibérale autant qu’anti-institutionnelle, par contre, apparemment ça ne se fait pas, ou plus, et ça ne doit plus se faire. Retirée du catalogue. Qui voudrait ne pas être intégrée au bienheureux aujourd’hui, ou à l’appétissant demain, hein, j’vous l’demande ?

Il ne s’agit pas d’un « isme » de plus, genre séparatisme. Il ne s’agit pas d’une identité de plus dans la gondole du supermarché existentiel. L’être réempaqueté en « faire comme ». On fait du séparatisme pour se regrouper, s’agglutiner, pour éviter à tout prix de se reconnaître seule. Et il est nécessaire à ce type de dynamique qu’il y en ait de trop ; c’est ce qui rajoute de la valeur.

 

Tant que nous nous marcherons sur les panards en essayant de nous entasser dans la boîte, nous obtiendrons les mêmes résultats. Si jamais nous voulons pouvoir nous regarder, il faudra au moins cesser de surenchérir sur le présent, de nous concurrencer, et surtout de nous séduire. Bref de jouer du pot à glu. De croire que nous nous sauverons dans cet ensemble fatalement éliminatoire – jusques à la dernière ! Il nous faut partir seules. Et il faut aussi toujours que quelqu’uneS commence(nt).

 

On est déjà un certain nombre à l’avoir dit : on sera toujours trop ou pas assez. On aura toujours tort. Inutile de se mettre dans la course à avoir raison ou à être « légitimes ». Ayons tort. Soyons tort. Cessons d’affirmer frénétiquement. C’est peut-être comme ça (mais j’en conviens, c’est loin d’être garanti), qu’on percera le fond de la cuve, où nous nous trouvons. Et que toute cette logique de la légitimité et de l’être ira, avec nozigues, au diable vauvert. L’important est qu’alors, sur le chemin, nous nous en débarrassions subrepticement. Petite poucette, hop !

 

En attendant, ni oubli, ni pardon, ni réclamation, ni léchouille !

 

 


 

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  • : transse et bie juskaux yeux ; vivisecte les économies politiques, premier, second marché ; acétone et antivitamine K - Le placard à Plume, la fem-garoue
  • : Un informel méthodique, exigeant, fidèle, pas plaintif, une sophistique non subjectiviste, où je ne me permets ni ne permets tout, où je me réserve de choisir gens et choses, où je privilégie le plaisir de connaître, c est là mon parti pris, rapport aux tristes cradocités qui peuplent le formel cheap, repaire des facilités, lesquelles en fin de compte coûtent bien plus. Je me vante un peu ? J espère bien. Déjà parce qu ainsi je me donne envie de mieux faire. Hé puis ho ! Z avez vu les fleurs et les couronnes que vous vous jetez, même l air faussement humble ? Faut dépercher ; quelqu'orgueil assumé vaut mieux qu une pleine bourse de roublardise attirante. Je danse avec le morcellement et la sape de l'économie, de la valorisation, de la fierté, de l'empouvoirement.
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