Suite et suite. Le feuilleton continue. Les terfes, tradfems et compagnie, dont le rameau central de pensée et de présentation d’icelle semble actuellement plutôt importé des states, dans une approche relativement simpliste qui joue, dans la tradition politique, sur des affirmations sommaires, émotionnalisées, sont assez spectaculaires et quelque part un peu anecdotiques sur la carte des féminismes contemporains. N’empêche, toute proposition est signifiante, à examiner. Ce qui est déjà je trouve fort déprimant avec ces fixistes quelque peu obsessionnelles, c'est que la « vieille » critique du rapport social de sexe, et donc du sexe/genre comme rapport social, que d'ailleurs elles utilisent fort mal et avec plein de raccourcis, s'en retrouve une fois de plus renvoyée à je ne sais quelles calendes et ringardisée, alors qu'elle nous serait pourtant d'une fière aide afin précisément d’accompagner une sortie des starting blocks... Quand par exemple des phrases de Mathieu, dont je suis avec bien d'autres une héritière, sont sorties de leur contexte et réduites, mutilées en simple hargne instrumentale transmisogyne, ça s’enlise dans le simplisme, la confusion, la décomplexion et un certain anti-intellectualisme – bref ça glisse aussi, paradoxalement, vers les formes structurellement masculines du social ; comme on se retrouve ! Encore quelque chose pour lequel on ne remerciera pas les tradfem, aussi limitée que puisse paraître leur coalition. Mais pareil, elles mêmes en sont à ne plus très bien savoir où elles en sont, à force de chercher à « utiliser » des argumentations et des logiques qui se contredisent.
Alors qu'elles se réclament, à juste titre selon moi, de la réalité du rapport social de sexe, et des problèmes que ça pose, elles défendent systématiquement des positions qui mènent à son ontologisation et, par là même, à sa perpétuation ; tentent de s'allier avec la « majorité silencieuse » fonctionnellement antiféministe, féminicide et essentialiste (où on doit bien rigoler en voyant les contorsions des unes qu’elles méprise tout autant que les autres). Tout ça parce que ce qui les empêche de dormir, finalement, ce ne sont pas les hommes, pas la masculinité dont elles espèrent toujours obtenir quelque concession, ce sont les transses. Les illégitimes dont le droit fort souffreteux à l'existence est supposé anéantir celui tout aussi peu effectif des femmes cisses, ce qu’on peut appeler une absurdité in se. Dans un article récent, elles nous resservent une approche totalement dualisante et biologisante où le genre/sexe social est réduit à une illusion sociale de surface que l'on va dissiper sans même changer les principe généraux dudit social, cool raoule ! mais surtout, savez vous ce qui les effraie dans les traitements hormonaux, qui certes ne sont pas bénins ? les risques de cancer, d'avc, etc ? naaaaan, vous n'y êtes pas ; le risque c'est la... stérilité. Vous avez bien lu. Et en plus ça semble particulièrement concerner dans leurs têtes les personnes nées nanas. Trop classe, quand on sait combien le natalisme et tout l'ordre relationnel qui va avec sont super porteurs d'émancipation pour les femmes !!! Cet exemple in extenso, pour montrer à quel point l’obnubilation fait déraper la pensée. Au fond, les terfes sont tellement épouvantées par le glissement dans le sexe qui croît (même si effectivement le rapport de sexe n'est pas remis en cause profondément), qu'elles sont prêtes à soutenir tous les conservatismes, jusques à des positions antiféministes incluses, pour se donner un espoir d'éradiquer le phénomène ! Elles n’hésitent d’ailleurs plus tellement à s’appuyer sur des approches d’hommes peu susceptibles de proféminisme, uniquement parce que ça renforce le paroli transmiso. Il faudra en parler plus longuement de cet opportunisme instrumental, superficiel, assez suicidaire, qui se retrouve à présent dans toutes les options féministes ou peu s’en faut : contre les ennemies de l’intérieur n’importe quel allié extérieur compte, à commencer par les mascus… La bonne vieille politique du « tout et n'importe quoi mais pas ça », qui a donné de si remarquables résultats dans le passé... la pensée utilitaire a même dissous les velléités de déterminer le rapport sociale et « l’ennemi principal » en termes d’éléments sociaux. Cet ennemi est devenu l’allié principal… bref, entre le rapport social qui redevient un simple « fait biologique », et autres têtes à queue, toute la structure de leur discours de « vérités » figées, ces énonciations à vocations éternelles chères au conservatisme, revient à celle d’un discours structurellement de droite. Les terfes sapent tranquillement leur propre base, et se sont déjà faites bouffer la tête. Elles espèrent plus de meclande que de transselande. On a du mal à plaindre leur extrême ridicule en cette affaire.
Finalement, les terfes, comme à l'autre extrémité du spectre transselande et queerlande subjectivistes, conservent la ferme croyance que les formes sociales "de base", sous forme d’identités, seraient ontologiques, n'auraient de raison qu'en elles-mêmes, échapperaient à la production et au passage informateur par le rapport social de sexe, lequel ne ferait alors que les "traiter", quand ce n’est pas les « déformer » (!) ; bref seraient "neutres". Je tiens pour moi la thèse que toutes ces formes et rapports "fondamentaux" se sont crées au contraire dans ce cadre, pour lui servir de structure de reproduction. Il n'y a donc aucun recours possible ou en tout cas pertinent à ces "originellités", rien en tout cas qui puisse nous permettre de transformer le sexué social. Nous sommes obligées de nous déterminer dans ce monde binaire et hiérarchisé, et donc, pour le potentiellement percer, d'aller vers son négatif actuel, l'assigné féminin. Mais il le faut faire conséquemment, matérialistement, et ne pas espérer en garder un morceau, qui ne saurait être inoffensif. Bref, l'alignement du positif sur les acquis de l'assigné masculin promu référent "humain", est dans cette optique une impasse qui promet l'achèvement du désastre. Devenir des mecs, idéaux et parfaits de surcroît, ou même « un peu beaucoup », n’est en rien une possibilité de sortie de l’état de fait et du rapport social de sexe, lequel est au contraire axé sur cette convergence ! Ça fait juste dresser les cheveux sur la tête. Un monde égalitaire, dépouvoiré, désapproprié, ne peut se réaliser par la concentration mortifère dans les formes du pouvoir, de la concurrence, de l'appropriation. Nous avons toutes, depuis des positions différentes, à lâcher ce cordon !
Les terfes ont donc des fois raison, mais c’est en bonne partie contre elles-mêmes. Je trouve assez pertinente, dans le principe, leur critique de l’inclusivisme, du règne du pseudopode, de l’appropriation, du « droit à relationner » et de ses schémas comportementaux et affectifs qui véhiculent les structures du rapport de sexuation et de la masculinité – mais alors il s’agit de les remettre en cause, globalement, pas simplement d’en bâter les transses, lesquelles sommes bien s^pur dans une position spécifique à cet égard, histoire d’évacuer la question en tant, justement, que question. Sociale. Certes on a du mal à cisailler son rapport à un ordre social général dont on a rêvé toute sa vie de profiter. Mais c’est à toutes qu’il revient de le remettre en question et de ne pas s’y accrocher ou référer. Un des points de mise en cause est l’a priori de la règle de la sexosocialsation, l’accès aux gentes comme principe de civilisation (amour, toussa…). Sexualisé ou non d’ailleurs. Hé bien je pense qu’il faut critiquer et même mettre en veilleuse rapidement ce mode de socialisation, qui passe par la légitimité, l’affectif, l’utilitaire, que sais-je encore, et que je pense un mode d’appropriation structuré par le référent masculin et empouvoiré de rapport à autrui. Je souligne que ce n’est pas pasqu’on est une nana, même cisse, qu’on ne représente par je ne sais quelle vertu suprasociale aucun danger pour une autre nana, que ce soit du fait des rapports sociaux inégalitaires, ou du fait de cet a priori d’accès et d’appropriation qui joue d’autant plus que les féminismes ont renoncé depuis trop longtemps à ne pas se limiter à une tentative d’alignement sur un mode de socialisation idéal qui serait « toutes des mecs » - vu le résultat que donne déjà la société patriarcale, on devrait plutôt s’en méfier et vivisecter ces incontestables références spontanéistes, relationnistes, citoyennes ou spirituelles qui ont plutôt l’air de déterminer un mode d’entrextermination. Et donc, je suis tout à fait d’accord que, transses, nous devons sérieusement aussi en rabattre sur cet a priori que nous manions des fois avec une innocence un peu feinte. Ben non, être nana ce n’est pas avoir une vie où on a accès aux autres et où on se les approprie, c’est exactement l’inverse. Et ce n’est pas pasque nous avons transitionné et dégringolé quelques échelons principaux que « c’est arrivé », la déconstruction reste à faire. Enfin, mais je me suis déjà beaucoup exprimé là-dessus, je ne crois qu’assez peu, très partiellement, à une « classe de nanas », unique et convergente, et encore moins que nous y appartenons d’emblée ; nous sommes une nouvelle classe de sexe et sociale ; pas d’unité a priori donc non plus.
Enfin, les terfes craignent que notre apparition donne un coup de jeune au rapport social de sexuation en son état. Ba, là tout bonnement je ne sais pas, mais encore une fois je le crois fort douteux. Rien n’est écrit. Dans les détails actuels peut-être, mais dans le principe d’une remise en cause de ce qui fait la masculinité, hé bien ça semble plutôt lui porter un coup de jarnac. Et je rappelle que les terfes, elles-, dans leur immense majorité, comme d’ailleurs la plus grande partie du féminisme présent, en sont à tel point de fatalisme qu’elle n’envisagent absolument plus une possible disparition du dualisme masculinocentré, au mieux son aménagement, ni celui des formes (amour, sexualité, toussa toussa) qui vont avec. Bref, venir nous chercher là-dessus quand on n’ose plus soi même avoir un avis qui rompe vraiment en visière sur la question, c’est encore une fois et du foutage de g… et de la facilité aidée par la hiérarchisation légitimitaire. Sûre que ça coûte moins cher de s’en prendre au transses qu’à la classe des hommes, et qu’on se garde ainsi bien mieux d’arrières pour négocier…
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Encore une fois, et je ne cesserai d’en causer que quand elles mêmes manifesteront un peu de jugeotte, ce qui m’agace, et le mot est faible, le plus avec la bande à terfes, c’est qu’elle se révèlent avec leur simplisme outrancier et totalement acritique comme parmi les démolisseuses et discréditrices de la pensée féministe « vieille-matérialiste », celle qui travaille sur la critique de fond du rapport social de sexe. J’ai hélas l’expérience que la sincérité bêtasse arrive à faire ce que les entreprises les plus machiavéliques ne parviendraient pas à imaginer. Bref là où les néo-mascus en tous genres et autres subjectivistes libérales rament, elles galopent et laissent le domaine à peu près dans l’état d’un jardin visité par des rats musqués. Bon, on peut dire en même temps qu’elles sont anecdotiques ; sans doute, mais hélas il faut bien par ailleurs admettre que les féminismes un peu travaillées et poussés sont tous anecdotiques, ultra minoritaires, et donc que les dégâts doivent aussi se mesurer au relatif. N’empêche, elles appellent tout uniment à notre extermination, de fait. Ce qu’il y a de pertinent dans ce qu’elles essaient de mobiliser, que le sexe est rapport et fonction sociale, et la critique du subjectivisme, est noyé dans un mélange instrumental de haine obsessionnelle, incroyablement bigleux (comme si nous étions the danger féminicide, ce qui vu le tableau actuel serait risible si ce n’était horrible) et d’illogisme crasse (sautiller du social au biologique en ontologisant les deux, et sans analyser un moment ce que leur usage suppose comme conséquence). Bref essayer d’user surtout d’arguments qui servent avec bonheur aux antiféministes revendiqués. Cool. Cela dit, et indépendamment du fait d’examiner les questions posées, je pense un peu vain de s’obnubiler sur les terfes au-delà de ce qu’elles constituent, de même qu’il leur est vain de s’obnubiler sur nous. Elles sont encore plus minoritaires, encore moins représentatives que tout ce que nous pouvons être, et nous n’avons pas de temps ni d’énergie à perdre sur elles en tant que groupe politique. La haine transmisogyne, au reste, ne les a pas attendues et s’en fiche comme de son avant dernière culotte. Ce sont elles qui courent après, et comme je l’ai déjà fait remarquer ailleurs après nous aussi, qui sommes bien plus en avant qu’elles ; ne reproduisons pas leur myopie ; si elles se déterminent par rapport à nozigues, ne nous déterminons pas par rapport à leur conciliabule.
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Ce qui ne veut pas dire que notre position en soit déproblématisée. Nenni. Je reste éberluée que nous continuions à contreposer notre catéchisme essentialiste de « on a toujours été » à celui qui ne l'est pas moins de « tu seras toujours », les deux aussi en pack « éternit » et ontologisant l’un que l’autre. Et que nous nous étonnions que ça ne nous rapporte pas vraiment de surenchérir dans le fixisme (genre, à jouer aux fixistes avec des fixistes, on finit toujours par perdre). Sans même parler du « grand récit » pour nous fonder dans un passé mythifié et souvent exotisé au passage. Comme quoi nous ne serions pas apparues, pas historiquement situables. Et ce faisant à contribuer nous aussi à bloquer toute réflexion sur le rapport social et ses évolutions, ses pourquoi comment, bref là encore finalement à abonder dans la même logique figée, immobile, que les terfes. Conséquence d'une pensée qui ne peut croire à la réalité des choses qu'absolue et éternelle, certifiée par la transcendance, par une surréalité qui informerait sans cesse nos basses contingences. Nos discours, nos grilles de lecture, se figent de plus en plus (et il faut bien dire qu’on s’était peu aventurées au-delà mais quand même) d’un mélange froid, objectivant, de subjectivisme et même de biologisme qui rentre par la fenêtre. Incroyable à quel point nous sommes intellectuellement conservatrices et frileuses, à quel point nous nous tenons sur des piliers culturels, épistémologiques, favoris de cette même société qui nous rejette et nous rabaisse grâce à ces moyens précis. Et à quel point nous jouons ainsi perdantes pour des raisons que j’espère superflu de trop expliciter (?!). On ne peut pas s’appuyer sur ce qui nie foncièrement notre possibilité.
C’est incroyable à quel point nous convergeons méthodologiquement avec nos ennemies et surtout concurrentes dans un refus a priori qu'il se passe quoi que ce soit dans le rapport social de sexe, et que ce soit social et collectif, pas individuel et subjectif. Nous sommes tellement délimitées par la lutte de légitimisme et les conditions qui lui ont été mises par la société masculine, essentialiste et idéaliste qu’il n’y a pas moyen, ni pour les unes ni pour les autres, de venir un peu sur le fond de l’affaire d’une part, de prendre en compte d'autre part ce qui se passe, et non l’image de ce qui devrait ou aurait toujours du se passer. De poser la thèse certes a priori moins confortable mais aussi moins exterminatrice que nous sommes réellement conséquences de situations sociales différentes, et qu’il n’y a aucune vérité supérieure qui nous rassemble – mais que donc nous sommes toutes réelles, ici et maintenant, avec nos tenants et nos aboutissants.
Or, être réelles a si j’ose dire un coût et suppose un engagement de reconnaissance. Maintenir la fiction vaguement spiritualiste et tout à fait essentialiste selon laquelle nous aurions toujours été transses, que ce soit collectivement ou individuellement, que nous n’aurions jamais « vraiment » été des hommes, fonctionnellement et en formation, relève du bouclier gaulois. Nous ne serons jamais protégées de toute façon des conséquences de l’état du social par des sophismes ou des a priori qui reprennent les structures énonciatrices, explicatives, de ce social même. À un moment il faut admettre que le réel est ce qui se passe, inclus que ce qui se passe a à être explicité et compris. Qu’il se passe quelque chose, de général, de massif, dans la sexuation, dont nous sommes la conséquence. En finir aussi avec la piteuse tentative elle aussi antimatérialiste de séparer sexe et genre, le premier « biologique » et « objectif », le second « ressenti » - le sexe a plutôt tout l’air d’une monade sociale, d’une fonction, le sexe sert et ne sert qu’à ordonner le social selon un rapport de hiérarchie et d’assignation. Rester dans le déni du changement à ce sujet nous coince encore une fois dans la même logique qui sert à nous délégitimer, celle du nécessaire « toujours déjà ». Reconnaître donc qu’il se passe des choses dans le social, dans les vies, à travers elles, mais que tout se qui s’y est passé a été, autant qu’il est, réel, avec des conséquences, bref que nous avons été des hommes, socialement, fonctionnellement, même si souvent pas à l’aise avec le choc de la sexuation dès assez tôt, et qu’il en reste des morceaux, que ça ne se dissout pas par le désir et la bonne volonté, encore moins par une affirmation à vocation rétroactive – transse, encore une fois, est un apprentissage, à vie, de l’illégitimité, une remise en cause en actes du tropisme du pouvoir et de la masculinité. Encore une fois ce n’est pas là une affaire morale, intentionnaliste ou individuelle, encore moins donc essentielle ; cela touche à des convergences sociales que les terfes elles-mêmes ont grandement renoncé à remettre en question, avec l’idéologie assez généralisée et incroyablement naïve de la réappropriation des formes supposées neutres du social, qui sont celles de la domination, et qui seront reproduites par cela même. La question est donc générale. Enfin, au passage, un autre minimum serait de rompre les unes comme les autres avec les idéologies littéralement complotistes selon lesquelles les changements sociaux, ou le conservatisme, seraient la conséquence de volontés individualisables, délibérées, autonomes, voire carrément secrètes, suivant des plans aussi tortueux que cocassement irrationnels, manière classique de ne pas penser l’automatisme, l’irrationnalité et les conséquences des objectifs sociaux incritiqués en tant que tels.
Le social nous crée, nous détermine, avec ses contradictions et ses évolutions, et non pas l’inverse. C’est finalement en prenant le plus les terfes au mot (et au sens, le sexe comme rapport social) que nous pouvons le mieux démontrer l’inanité de leurs aigreurs fixistes. Nous sommes toutes réelles, temporelles, modifiables, dans un contexte social donné et déterminé qui évolue, sans arrière plan absolu d’aucune sorte.
À l’autre extrémité des choses, mais quelque part dans une logique des fois inquiétamment convergente, il y a donc une normativité essentialiste transse, où l’on pense se protéger par des affirmations un peu à l’emporte pièce, et accessoirement ou on estime qu’on nous doit ce qui est au menu idéalisé de la « communauté humaine » du sujet de l’économie relationnelle et politique, inclusivité affection bisounourserie complicité ; ba ce n’est pas que le confort ça soit mal, pas du tout ; sauf que des fois il faut réfléchir et au social systémique, et aux implications de ce confort. Si c’est pour perpétuer un confort de type masculin, hé bien je pense qu’il y maldonne, grave (pasqu’en plus, hors de toute question morale ou politique, on l’aura pas, alors autant se mettre au jus le plus vite possible). Il faut quand même bien se dire qu’on n’a pas signé pour la facilité, déjà parce que le féminin c’est, dans le monde tel qu’il est, la difficulté, le manque. Qu’on n’a pas transitionné pour du positif et de l’inclusion mais pour du négatif et du départ, liés intrinsèquement à l’assigné féminin, et qu’il nous faut sérieusement piocher ça. Qu’on ne nous marche pas dessus, que nous puissions vivre et socialiser, c’est une chose, mais nous n’avons pas plus que n’importe qui, et surtout les nanas en général, à réclamer une espèce de droit sur quiconque – la société masculioncentrée est entre autre bâtie sur l’appropriation, sous toutes les formes de « l’affectif » et de la reconnaissance légitimitaire. De même, la volonté ou le désir de légitimité universelle ou symétrisante est un trope typiquement dominant et masculin. D’où le problème de la « pan » ité. Ben non, on ne peut pas être ou faire tout à la fois, et il y a des tas de choses déjà existantes qu’on ne sera jamais – encore une fois, il nous faut avaler d’être un groupe et un rapport nouveaux dans le social de sexe. Nous ne rejoignons pas une « patrie » qui nous attendrait depuis toujours (d’ailleurs, vu comme on y est accueillies, je veux pas dire mais de toute façon il y a maldonne ; et privilégions notre survie). Nous ne sommes ni collectivement, ni individuellement, la queue d’un passé « toujours déjà existant » qui achève de sortir de son trou, nous sommes un présent qui se déploie, un avenir qui prend forme. Et en laisse aussi. En questionne pas mal. Transse, c’est la pratique et l’apprentissage, la réalisation permanente et actuellement sans guère de limite d’une illégitimité féminine radicale : nous ne sommes même pas des femmes cisses, ce qui socialement relève de la malédiction. Pourquoi comment, c’est une chose encore à éclaircir, et qui ne s’éclaircira que par le fait. Mais nous sommes là et manifestons quelque chose de nouveau dans la sexuation.
Les terfes n’ont donc pas tort de dénoncer, fut-ce un peu par la bande comme c’est malheureusement le cas, l’idéologie « fondatrice » de la socialité fatale par l’accès a priori aux autres, aux espaces, les mixités inclusives, etc. Mais elles ont tort de ne les dénoncer que pour les unes, pensant que les autres seraient exonérées essentiellement des conséquences de ces formes. Nous aurions tout intérêt à frayer une voie de sortie de ces normes enjointes, au lieu d’essayer de les intégrer ; autant elles jurent dans les thèses des radfem’ et d’un féminisme qui finalement n’arrive toujours pas à se dire que ce sont nos idéaux et désirs convergents qu’il faudrait étenidre vu leurs conséquences, autant nouzautes transses, étant tout au bout de ce chapelet, pourrions et devrions aider à en casser la ficelle réputée inusable et autoreproductice ! Sauf que, sauf, que, elles feraient déjà bien de se regarder elles-mêmes, pasque cette idéologie relationniste, productrice de valeur par la relation, n’a jamais été sérieusement mise en cause par leur parti, pas même par les cislesb’s. Non plus que l’universalisme marchand et propriétaire. La norme c’est toujours l’accès à autrui, j’te bouffe, et la privation des biens. Et les diverses « sexualité » ne sont qu’une duplication de l’hétéronorme, souvent jusques dans les détails de la fascination pour le rapport de pouvoir, l’appropriation d’autrui, etc. Donc zébi, les terfes. Lisez donc Solanas, qui elle au moins avait posé la question ! Oui, il nous faut des séparatismes – mais des séparatismes systémiques, qui modifient le rapport social de toutes à toutes. Les séparatismes, j’y reviendrai, ne servent pas à grand’chose si on y reproduit les mêmes formes sacrées, désir et injonctions sociales ! Au lieu de vous obnubiler sur les transses, vous devriez déjà bien regarder comment ça se passe à cislande.
Il serait sans doute temps, de manière générale, d’arrêter de nourrir ce désir et ce rêve de structurel finalement majoritaire et masculin qui devrait se livrer, se distribuer à toutes, faire le bonheur (notion elle-même éminemment suspecte) d’une humanité softement masculinée. Les avantages sans les inconvénients, vielle blague de l’économie politique. Et pasque de toute façon ce sera pas le cas, et pasque si c’est le cas ça sera tout autant et plus le désastre ; et que si on prétend que « les choses » changent hé bien il ne faut pas commencer, ni même finir, par essayer de prendre leur train en marche et des se les récupérer. Nous refusons par exemple de comprendre, les unes comme les autres je souligne, que le monde de la reconnaissance et de la valorisation, comme conditions d’existence, est nécessairement le monde du mépris, de la honte et de la violence hiérarchisées – et qu’il faut nous arracher aux unes pour nous arracher aux autres, dans notre fonctionnement même. Nous représentons et portons un potentiel, mais seulement potentiel, danger, les unes et les autres, dans la mesure exacte où nous entendons ou non reproduire les objectifs sociaux du rapport de sexe et du monde de l’appropriation, relationnelle et sociale, bref les unes comme les autres. Il nous faut bien nous mettre ça devant les yeux et ne plus les en détourner tant que nous n’aurons pas réussi à déconstruire et à dissoudre ces objectifs sociaux et leur « naturalité » évidentiste. Un monde valorisé, fonctionnellement masculin, un monde socialement de mecs quoi, quelles que soient les identités mises en œuvre, et que ce soit par appropriation ou par refus de se défaire de, selon d’où on vient, hé bien ce ne doit pas être notre but. Ça doit au contraire être ce que nous désertons, fuions, démolissons. Nous vous prenons au mot : pas de magie identiste – hé bien tirez en aussi les conséquences : pas de réappropriation innocente des structures dominantes. Et ça inclut beaucoup d’évidences a priori, de désirs sociaux, que les féminismes qui se sont succédés, qui s’affrontent aujourd’hui, n’ont pas plus les uns que les autres bien su ou voulu analyser, identifier et remettre en cause. Bref, une fois de plus, revenir sur ce que la plupart des féminismes actuellement en vigueur ont évacué : la perspective d’un fonctionnement, de buts qui ne soient pas ceux de l’économie politique et relationnelle, et la soutenance de la thèse que maintenir les mêmes buts, même prétendument « pour toutes » (ce qui est un non sens avec des objectifs qui impliquent évaluation et élimination), produira et reproduira le même monde et les mêmes fonctions. Il faut que les terfes admettent, autant que nous, que la critique de la subjectivisation des rapports sociaux, des buts qu’ils supposent, de leur idéologisation et de leur neutralisation, les concerne, et plus souvent qu’elles le croient sur des points similaires à leurs adversaires.
Faut cela dit pas rêver, une fois passé le guichet apparent des alliances opportunistes, notre illégitimité est la même pour les différentes options féministes, toutes aussi cislégitimitaires les unes que les autres. Nan mais c’est important de le rappeler, déjà pour éviter quelques mésaventures, fréquentes dans les milieux dits « inclusif » où en réalité, au mieux, on nous instrumentalise, et aussi pour arriver à mettre en question, comme je l’ai déjà dit ailleurs, la fatalité d’une unité féministe et féminine. Ben non, rapports sociaux obligent, il y a une convergence misogyne et féminicide, çà c’est clair, mais cela ne suffit pas à gommer les autres rapports – même si ça pourrait quand même bien éliminer massivement l’assigné féminin dans un monde qui se resserre, en mal de valorisation, sur les assignés masculins.
Je suis plus que jamais pour des séparatismes conséquentiels en fonction des rapports et des situations sociales, pour dire que nous n’avons dans cette perspective rien à faire avec les cisses ni les cisses avec nous. Et à travers cela pour la remise en cause de la convergence évoquée plus haut vers la reproduction du monde actuel. Mais surtout qu’être conséquentes, et cela vaut plus ou moins pour toutes, c’est remettre en question les structures invariablement poursuivies et désirées qui nous mobilisent et nous minent toutes, la relation sacrée, l’appropriation, la vie conditionnée par la reconnaissance et la valorisation ; bref rappeler que le séparatisme n’a de sens que si les buts sociaux sont mis en question, et séparément aussi au besoin. Que se séparer, c’est aussi se séparer du sujet de la relation et de l’économie, indécrottablement masculinotrope. Il est quoi qu’il en soit moins que jamais je pense question de converger, puisque précisément ce vers quoi nous convergeons, et peut-être la logique même de convergence vers un point idéal objectivé et universalisé, posent question pour ne pas dire problème. Nous ne sommes donc pas forcément parallèles aux cisses, et vraisemblablement au contraire perpendiculaires, de par nos trajectoires, de par aussi la possible remise en cause des buts. La question ne porte pas tant que ça sur l’identité, ou sur une compilation d’expériences, que sur les objectifs sociaux « neutres et évidents ». Mener par conséquent une critique en actes et en théorie de notre sujet idéal, désiré et libéral convergent. De ce sujet sur l’appropriation duquel nous sommes en train de nous étriper, alors que c’est lui qui nous formate, nous soumet et nous instrumentalise.
Quelque part, les terfes se sont fichues, se sont retrouvées mises et se sont mises elles-mêmes dans une position à peu près aussi pathétique et en impasse que nous – sans que cela évidemment nous symétrise. Leur désir minoritaire de reconnaissance, d’universalisation, de normalisation bute d’une manière similaire sur l’évidence du pouvoir de masse hétér@cis majoritaire, qui rigole – « on sait bien que les transses sont des travelos, pas besoin de venir nous l’apprendre avec un l’air d’avoir découvert la poudre – et on sait bien aussi que vous êtes des hystériques ». Et paf. Les terfes n’arrivent pas plus que nous à penser en termes de structures sociales, elles sont tout autant coincées dans le paradigme de l’identité subjective originelle, et s’étonnent que, minoritaires, ça ne marche pas pour intégrer, s’approprier des formes qui sont et restent celles du patriarcat valorisateur. Ça n’en fait bien sûr pas des copines pour autant. C’est aussi la leçon de la réalité des rapports sociaux, on ne les transcende pas « comme ça », et on ne se retrouve pas « ensemble » par défaut plus que par positivité. On ne fait non plus ce qu’on veut des formes sociales en fonction de son identité supposée originelle, mais que c’est plutôt l’inverse, là aussi on les prend au mot, qu’elle s’appliquent leur propre schéma. Enfin que la contestation concurrentielle et non critique, « ôte toi de là que je m’y mette », revient toujours à une surenchère de continuation et de normalité. Réfléchir sur cette approche en échec pourrait nous lester un peu la caboche, aux unes comme aux autres.
Soyons conséquentes, nous faisons mieux de nous séparer, c’est à dire de valider le fossé qui nous sépare déjà de fait, et il se peut même bien que nous soyions opposées. Il est ne tous cas indispensable, à notre échelle et de nos positions, de casser la blague sororitaire qui a déjà servi à écrabouiller doublement, s’il était possible, tant de nanas au moyen d’autres, et brouillé les pistes de problématisation. Sorority kills, comme disait très justement Atkinson, une terfe qui a produit autrefois des textes lumineux et tranchés contre les injonctions unitaires et relationnistes, lesquels je recommande. Nous, transses, ne sommes pas des femmes cisses, et réciproquement d’ailleurs, ça peut paraître superflu de le dire mais je ne crois pas que ça le soit. S’il y a un assigné féminin dans le cadre du rapport social de sexuation, cela ne fait pas pour autant qu’il n’y ait qu’une modèle et une situation sociale que cela concerne. Et concernant la logique de la séparation, si je pense qu’elle doit effectivement se faire entre autres sur une ligne de scission cisses/transses, ce n’est pas ou pas d’abord en termes d’identités. Comme je l’ai écrit il y a déjà longtemps, je pense encore une fois qu’un séparatisme qui se limite à se scinder dans la poursuite et la réalisation des mêmes formes et idéales sociales perd toute pertinence et donne à peu de choses près les mêmes résultats que la concurrence unitariste à laquelle nous invite l’universalité hégémonique de ces formes. La séparation doit d’abord se faire avec les formes socialement imposées et consensualisées, bien plus que sur une morale tatillonne et toujours vouée à la transgression de ce qu’on se permettra ou pas à travers les frontières au nom des formes sacrées et supérieures incritiquées. Et c’est là que les différentes positions sociales apparaîtront et auront elles-mêmes pertinence, si nous cessons de converger fonctionnellement. Bref, nous devons prioritairement nous séparer d’avec les nous-mêmes que nous nous assignons ou laissons assigner, par désir ou facilité, et qui nous ramènent comme par la main au même.
Autant il est sans doute vain de vouloir réduire ad unam, universaliser, réclamer l’inclusion, autant il faut éviter de raconter n’importe quoi. Le niveau du débat a considérablement baissé ces dernières années. Ca ne nous sert pas, ça ne fait que nous mettre toujours plus à portée des crétins réacs et mascus.
Nous ne débloquerons rien à tenter de converger et de nous disputer les critères de légitimité, de valeur imposés précisément par le rapport social de sexuation masculinotrope. Nous n’avons aucune alliance à préconiser, il nous faut cesser de prioriser les formes sacrées à réaliser pour nous tourner vers les contenus et les méthodes qui sous-tendent ces formes, lesquel(les) nous enserrent et nous font reproduire indéfiniment le même monde. Nous devons penser autrement qu’en termes d’alliance ou de concurrence. Et pour cela remettre les buts en question. Et surtout ces formes idéales, ces mots qui sont censées introduire à ces buts, mais incarnent en fait leurs contradictions internes.
Nous sommes, les unes comme les autres d’ailleurs, mais là encore à des titres différents, la manifestation d’une négativité, d’une remise en cause, précisément de la remise en cause de la sexuation, qui a fait de ce qui est assigné féminin dans son cadre un négatif ; toute cette affaire constitue un complexe historique. Nous ne gagnerons rien à faire semblant de la positiver, de la transformer en affirmation qui plus est simpliste pour tenter de négocier après cette affirmation sur le marché de la valeur sociale. Tout cela est à vivisecter et à envoyer bouler, si nous le pouvons. Mais il nous faut alors nous en retirer, en retirer notre investissement, sans quoi c’est perdu, c’est nous qui irons à la poubelle, les transses d’abord, les terfes ensuite, ce qui reste, je le rappelle, une possibilité assez grave, vu comment les choses tournent, peut-être au féminicide généralisé, à l’extinction forcenée de ce négatif qui est possible échappée d’un positif clos, mesquin et horrible. Ne pas lui être instruments suppose ne se laisser aller à rien, et nous travailler nous-mêmes avec suite et sans complaisance. Il importe que la critique du social remplace les idéologies de la réalisation d’un soi supposé aproblématique. Être impitoyables intellectuellement envers nous-mêmes comme fonctions sociales est condition indispensable à cesser de nous persécuter moralement - ce toujours in fine au nom de raisons, de structures, qui nous excluent et anéantissent.
(on pourra relire, d'un point de vue moins critique et plus dynamique, http://lapetitemurene.over-blog.com/2017/06/phobes-alliees-quand-le-ressentiment-se-lache-un-peu-plus.html)