Moins alambiquée et plus matérialiste, je suis revenue depuis sur ce genre de question dans http://lapetitemurene.over-blog.com/2016/11/anna-tommy-6-love-backlash.html
Vous avez du maintes fois remarquer ma très grande aversion, pour ne pas dire pis, envers les idées et propagandes de plus en plus diverses et néanmoins convergentes qui positivent le fait de faire – et du coup d’avoir, de devoir s’occuper, des enfants. Tout autant que contre l’idéalisation de celleux-ci, notamment dans les conditions actuelles de surinvestissement envers ces promesses sur pattes particulièrement pénibles, et qui ne tiendront jamais rien plus que nous n’avons su tenir, tout en nous bouffant le peu d’existence qu’on nous concède.
Il me paraît cependant important, même si ça aussi ça se comprend très bien quand on lit mes foucades, que mon antinatalisme est en faveur de la vie la plus correcte possible et imaginable des nanas existantes et présentes, et n’a rien à voir avec ce qui motive en général ce genre de position : un calcul malthusien.
Les choses sont très simples. Je fais partie de celles qui, tout bien considéré, refusent que nos existences soient conditionnées, rabotées, mesurées, légitimées ou non, en fonction de « nécessités » générales ou même absolues, et d’abstractions diverses. Bref que le principe de nos vies se trouve en dehors d’elles-mêmes. En clair, je suis opposée aux conséquences de ce qu’on appelle souvent la « révolution copernicienne », surtout dans les affaires humaines. Cette « révolution » qui consista à placer en dehors de notre cadre propre l’axe de ce que nous comprenons comme le monde. Bien sûr quand on parle de Copernic et de quelques autres, cela fait référence à la conclusion que la terre n’était pas le centre de l’univers. Je vais dire quelque chose qui va vous faire bondir, mais j’ai l’impression qu’en s’intéressant à ça on s’est enfilés dans un fort mauvais coton.. En effet, depuis, on n’a pas cessé de faire dépendre nos existences et le rapport que nous y nourrissons de « mesures objectives », suspendues en dehors et au dessus. Sans parler qu’au fond ça n’avait pas la moindre importance pour la vie que nous menions et dans une certaine mesure menons encore – l’atmosphère ne se dérobe pas d’un poil si nous cessons d’y accorder crédit, et le soleil ne s’en lève pas moins (1). On peut tout à fait vivre, et confortablement, sur Terre, sans nourrir la moindre spéculation copernicienne !
Je suis de celles qui pensent que le capitalisme, c'est-à-dire la prééminence donnée à la « dimension économique », a vu sa mise en place facilitée par les points de vue coperniciens, scientifiques et tout ce bataclan. Et si le monde précopernicien était déjà, évidemment, réglé sur l’hétéronomie assez radicale du divin, les idéologies du Bien, du sens de l’histoire et autres nécessités objectives ont motivé des exactions et des désastres d’une ampleur inconnue jusque là, même pour la bestiole agressive que nous sommes. On aurait pu vivre fort bien sans se soucier de savoir qui tournait autour de qui. Et une part de nos infortunes historiques est peut-être liée à cette passion de nous forger finalement de nouvelles divinités, bien voraces, en l’espèce des « vérités objectives » au nom desquelles nous nous faisons passer à la casserole, plutôt deux fois qu’une.
Or donc, comme je disais, la plus grande partie des idéologies antinatalistes n’ont rien à battre de ce que se coltiner des mômes c’est chiant et pénible, que la vie est fort courte et qu’on y aurait une foultitude de choses plus passionnantes à faire, sans parler de ne rien faire. Non, les raisons données sont qu’on serait « trop nombreux », « qu’y en aura pas pour tout le monde », etc. C'est-à-dire précisément les idéologies de guerre mutuelle, de possession privée et de pénurie qui accompagnent l’économisme depuis trois ou quatre siècles. Où on a réussi à produire des monceaux inouïs de choses, de plus en plus néfastes et pourries, sans que la plupart en aient, et surtout des plus utiles !
Les malthusianismes mettent précisément en avant des raisons externes à notre existence pour estimer celle-ci, dans la droite tradition copernicienne et scientiste, où ce sont, ô fétichisme, camarade Marx au secours, les choses, investies du pouvoir décisif, pour ne pas dire les marchandises et les métamarchandises (nature, planète etc.) qui se substituent à nous comme sujets sociaux et « réalités décisives ». En quoi on a l’habituelle chute des velléités de critique dans la naturalisation des formes sociales en vigueur, qui a fait de bien des révolutions des sessions de rattrapage du capitalisme et des ses abstractions réelles annexes. En gros, je pense que le malthusianisme à dès son origine (et son auteur) fait l’impasse précisément sur une critique de la société de production, d’échange forcé et de pénurie, en avalant ses présupposés d’angoisse matérielle permanente – création du besoin – comme sa confiance dans la prééminence des données externes, toutes formes si utiles à fouetter les producteurs et les consommateurs dans la galère des nécessités.
Sans parler du rôle foncier dans ces types de pensée de notre bonne vieille illégitimité foncière, elle directement héritée des religions culpabilisantes, abrahamiques en particulier. Nous sommes toujours coupables, toujours de trop, il y a toujours une bonne raison de tuer plein d’entre nous, que nous soyons mécréants ou non-rentables. Pensées systématiques de malveillance envers nous-mêmes et autrui. Eh bien m… !
Ces approches, les amies, me font vomir. Si je suis antinataliste c’est pour nous, pas pour les « ressources » ou la « planète », cet « organisme » dont je n’ai absolument rien à branler, et dont l’évocation alarmiste sert uniquement à renforcer les prérogatives de la domination, des états, des polices, avec l’assentiment enthousiaste des décroissants et autres écologistes. Je reprends à mon compte là-dessus la critique des camarades Riesel et Semprun. Et aussi celle fort éloignée en apparence, mais peut-être pas tant en fait, de Solanas.
Pour moi la seule bonne raison d’agir, c’est de prendre nos vies en main, de nous autonomiser, de créer des rapports humains et non plus sociaux, de cultiver notre imperfection en somme. Il y aura ou pas des mômes, probablement toujours un peu. Mais nous gagnerions quelque chose de décisif à remettre en cause, au lieu de vouloir les intégrer, les structures du patriarcat qui sont quand même bien ancrées sur le souci de la reproduction-transmission des pouvoirs et des biens. On n’a pas à organiser les choses en fonction des aliens qui surviennent – je rejoins là la thèse d’Arendt sur l’étrangéité de l’enfant dans un monde déjà constitué, en sus du fait que c’est un emmerdement sur pattes.
Je suis donc, comme antinataliste, assez déprimée par l’effervescence qui agite toute la société à ce sujet depuis vingt ans, comme par hasard au moment même où la valeur des « vies pour elles-mêmes », dans le cadre politico-économique, s’effondre ; et où nettement l’enfantement revient à la mode comme pansement – mais alors coûteux, le pansement. Je ne parle pas en argent. Je parle en vie, en peau, en temps. Je vois juste les copines, les copines de la génération qui s’était soulevée contre ça, qui aujourd’hui se retrouvent à devoir faire vivre leurs enfants quarantenaires, et pouponner leurs aliens, tout en quelquefois surveillant du coin de l’œil leurs parents déments ! Pas une minute. Crever à la tâche. P… ! C’est ça, c’est pour ça qu’on s’est battues ?
Et je vous le tranche tout net – je ne fais pas un pas dans le sens de la tradition et du complémentarisme sexuel. Ç’a toujours été le bagne pour les nanas, partout. Il n’y a pas d’issue vers le passé – et si on aurait pu suivre d’autres chemins à divers moments, de toute façon c’est râpé. La sortie n’est pas derrière ; elle n’est pas non plus dans l’obstination productiviste. Sortir du capitalisme, ce n’est pas le plein emploi, les crèches et l’hypersocialisation, dont on voit déjà les conséquences dans la folie qui gagne ; c’est bazarder toutes ces obligations et ce injonctions repeintes en « services » et en « opportunités ».
Je fais partie de celles qui croient que si on vivait des vies moins pourries, singulièrement, on aurait moins envie de se les pourrir encore plus pour être bien sûres de notre fait. Tout bêtement. Je suis une optimiste – vous ne vous en doutiez pas ?
Comme antinataliste je suis parfaitement anti-malthusienne, et de manière générale, allez un petit néologisme que je dédie (re !) à Arendt qui a beaucoup réfléchi sur la question, antinécéssitaire. Le jour où nous commencerons à cesser de nous payer de mauvaises raisons pour légitimer notre émancipation, on aura fait un sacré bougre de pas sur le côté ! Partir sur le côté est le prélude à toute évasion. En face il n’y a que le gouffre.
PS : Ce que je trouve assez tristement cocasse, c'est que lorsque je discute là dessus, bien souvent, on glisse sur les motifs de la vie présente pour finir par me dire "mais alors, comment on va faire après quand on va vieillir ?". Ce qui résume en dix mots la totalité de l'impasse où nous nous sommes foutues et dont nous craignons comme la gale de sortir : qui va payer nos maisons de retraite et nous torcher quand on pourra plus ? Point. Voilà toute la perspective humaine et politique que la civilisation perfectionnée nous a laissée. C'est tout de même trop classe, nan ?
PS 2 : Je vois, ô honte, que j'ai oublié de faire référence à Madeleine Pelletier, laquelle fut au tournant de l'autre siècle une des défenseures bien isolée d'une opposition au natalisme centrée sur la vie des nanas, et pareillement d'une remise en cause radicale du relationnisme et de la sexualité - elle fut une des très rares anarchistes à mener une critique de "l'amour libre", c'est à dire de la mise à dispo des nanas pour les "besoins" masculins, libération qui était encore à l'affiche soixante dix ans plus tard !!
(1) je trouve d’un humour fort noir que l’on nous bassine dans les média avec les incroyables performances d’un quad télécommandé envoyé sur une planète voisine, et encore plus désopilant qu’on nous annonce comme des nouvelles d’importance la supposée présence d’autres planètes, tout à fait invivables et à des distances astronomiques, alors que nous sombrons depuis un siècle dans la guerre générale, les dingueries les plus avancées et somme toute l’extermination. On se demande où ont la tête des gentes capables de s’occuper de pareilles niaiseries, et dans une telle situation, sans même parler de celleux qui les relaient et les écoutent avec dévotion.